TEMPS PRÉSENT, notion de
Une histoire nouvelle
Ce nouvel objet d'histoire répond visiblement à une transformation de la conjoncture historiographique et de l'attente sociale. En témoignent, en France, l'ouverture des archives (loi de 1979) plus rapide qu'auparavant, en théorie, la parution de la revue Vingtième Siècle (1984) et l'introduction du second xxe siècle dans les programmes de terminale des lycées (1982).
Son rapport nécessaire aux témoins vivants marque son originalité première. Face au primat des archives écrites, l'histoire du temps présent s'appuie largement sur l'histoire orale, les entretiens recueillis ou sollicités auprès des témoins et des acteurs de l'histoire en train de se faire. Sous la forme de réflexions collectives et d'enquêtes, l'IHTP va introduire en France une démarche reconnue par les historiens américains dès 1942 (l'Oral History). L'historien du temps présent se distingue alors par sa position vis-à-vis de la source. Il devient le producteur des traces du passé, par le choix de ses interlocuteurs, et par l'interaction entre le témoin et lui (Danièle Voldman dir., « La Bouche de la vérité ? La recherche historique et les sources orales », in Les cahiers de l'IHTP, 1992).
Par ailleurs, il est un historien sous surveillance (Pierre Laborie, « Historiens sous haute surveillance », in Esprit, 1994) puisqu'il travaille en situation de comparaison, voire de concurrence avec les témoins. Cette situation aboutit parfois à un véritable conflit entre mémoire et histoire. L'historien s'expose à faire entrer dans l'histoire des débats occultés, enjeux de mémoires rivales : Vichy (Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, 1987) ou la guerre d'Algérie (Raphaëlle Branche, La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie, 1954-1962, 2001) passent ainsi de la mémoire à l'histoire. L'originalité de cette position tient à la difficulté d'abolir la distance avec des objets encore vivants. Cet obstacle est toutefois relatif ; une histoire parfois très ancienne peut être un enjeu contemporain et Marc Bloch rappelait que, de la IIIe République ou des guerres de Religion, le second sujet demeurait le plus délicat à traiter au lycée de Montpellier en 1912 (Apologie pour l'histoire, ou Métier d'historien, 1949). Il est vrai que, pour l'historien du temps présent, le handicap se transforme en un défi stimulant. Faute de pouvoir prétendre à une objectivité qu'instituerait, de manière fallacieuse, le temps écoulé, il doit considérer la distance comme une construction qui lui incombe. Sa discipline souffre en apparence d'un deuxième handicap, celui d'ignorer l'aboutissement des phénomènes dont elle rend compte. Toutefois, cette difficulté libère l'historien de tout déterminisme et l'amène à rendre aux acteurs de l'histoire leur part de libre-arbitre.
Enfin, l'histoire du temps présent est saisie par la « demande sociale ». Face au négationnisme, les historiens ont dû aborder l'histoire du génocide et affronter les falsificateurs de l'histoire (Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, 1987). Les anniversaires, les commémorations, les commandes publiques des ministères sont autant d'incitations à produire une histoire du temps présent, parfois éloignée des questionnements de la discipline historienne, à moins de réussir « à retraduire la demande [...] dans les modalités et dans les termes qui sont les siens » (Henry Rousso, La Hantise du passé, 1998). La participation des historiens lors des procès de Paul Touvier (1994) et de Maurice Papon (1998) illustre toute la difficulté de cette entreprise (François Bédarida, « La dialectique passé /présent et la pratique historienne », in L'Histoire et le métier d'historien en France[...]
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Écrit par
- Olivier LÉVY-DUMOULIN : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II
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