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TERRA NOSTRA, Carlos Fuentes Fiche de lecture

Carlos Fuentes, un écrivain à l'écoute du monde - crédits : Vittoriano Rastelli/ Getty Images

Carlos Fuentes, un écrivain à l'écoute du monde

En dehors de Paradiso(1966), du Cubain José Lezama Lima, on n'a pas d'exemple, dans la littérature latino-américaine contemporaine, de tentative romanesque aussi ambitieuse que Terra Nostra (1975), du romancier mexicain Carlos Fuentes (1928-2012).

Un roman baroque

Entrer dans Terra Nostra, c'est pénétrer dans un labyrinthe, dans un univers tourmenté et allégorique, qui tient à la fois de Jacques Callot et de Jérôme Bosch. Il faut se laisser porter par ce déferlement de faits, d'anecdotes, de tableaux, de rappels historiques, de discussions religieuses, métaphysiques ou esthétiques, de légendes, sans prétendre en percer immédiatement le sens ou la portée. Délibérément, Fuentes inscrit son livre dans la tradition baroque, qu'un des personnages de Terra Nostra définit comme « une floraison instantanée, si pleine que sa jeunesse est sa maturité, et sa magnificence son cancer. Un art qui, telle la nature, a horreur du vide et remplit le moindre espace laissé par la réalité ». Ce roman est une spirale foisonnante qui ramène périodiquement le lecteur à un point de départ à la fois identique et différent.

Apparemment, la construction du livre est simple et semble obéir à une sorte de symétrie pyramidale : un premier pan du récit, « Le Vieux Monde », prend sa source dans le Paris apocalyptique du 14 juillet 1999, pour plonger, de façon inopinée, par un de ces glissements « magiques » qui abondent dans le roman, dans l'Espagne du xvie siècle. Une deuxième partie, qui constituerait la « plate-forme » de la pyramide, est consacrée à la découverte du « Nouveau Monde » et, plus précisément, du Mexique précolombien, où les divinités du panthéon aztèque s'abreuvent du sang des sacrifiés. Dans la dernière partie, peut-être la plus tourbillonnante et la plus lyrique, la plus disparate aussi, nous retrouvons l'Espagne du xvie siècle et son souverain figé dans un absolutisme stérile (il prendra, un moment, les traits de Franco), frappé de dégénérescence et de mort ; mais également le monde du 31 décembre 1999, submergé par une natalité galopante, que chaque nation tente de juguler en puisant dans ses « traditions » : à Rio, l'élimination se fait à travers un carnaval perpétuel et obligatoire ; à Buenos Aires, on organise des duels à partir de scénarios inspirés par les tangos ou par la poésie « gauchesque » ; à Moscou, on distribue des millions d'exemplaires des œuvres de Trotski, et toute personne surprise à les lire est fusillée ; le Mexique renoue avec les sacrifices aztèques, mais il est également dévasté par une guerre menée par les troupes nord-américaines : le pays, dont le président a été assassiné dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler le coup d'État chilien contre Salvator Allende, n'est plus défendu que par quelques guérilleros réfugiés dans les montagnes autour de Veracruz. Le cadre des dernières pages est à nouveau Paris, où réapparaît le jeune homme du début, qu'on croyait englouti dans les flots bouillonnants de la Seine. Il retrouve là des exilés latino-américains qui portent les noms des héros des romans les plus importants de Cortázar, Vargas Llosa, García Márquez, Cabrera Infante, Carpentier et José Donoso. Une véritable fusion charnelle s'opère entre ce jeune homme et un autre personnage-protée, Célestine, la femme aux yeux gris et aux lèvres tatouées, tour à tour dessinatrice sur le pont des Arts, page tambourinaire dans le cortège funèbre de Jeanne la Folle, paysanne violée par Philippe le Beau, prêtresse de l'amour universel et entremetteuse décrépite et sournoise, comme le veut la tradition littéraire espagnole depuis la Celestina de Fernando de Rojas.

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Média

Carlos Fuentes, un écrivain à l'écoute du monde - crédits : Vittoriano Rastelli/ Getty Images

Carlos Fuentes, un écrivain à l'écoute du monde

Autres références

  • FUENTES CARLOS (1928-2012)

    • Écrit par
    • 1 822 mots
    ...d'irréalité » qui, pour Fuentes, n'est que l'affirmation d'une « autre réalité ». En 1975, alors qu'il vient d'être nommé ambassadeur du Mexique en France, il publie Terra Nostra, immense roman qui couvre 2 000 ans d'histoire et embrasse l'espace de quatre continents. Le centre « historique » du livre est...