Terraplane blues, JOHNSON (Robert)
Pendant longtemps, les détails de la vie du maître du blues du Delta, Robert Johnson (1911-1938), sont restés imprécis. On sait maintenant que, dès son plus jeune âge, le créateur du célèbre Sweet Home Chicago, dont la paternité lui a cependant été contestée, travaille la terre et que ses premiers instruments sont la guimbarde et l'harmonica. Malgré les interdictions de son beau-père, sa passion pour la musique l'entraîne à aller écouter en cachette dans les tripots de campagne du sud des États-Unis des bluesmen comme Willie Brown, un voisin, Charley Patton, une des étoiles du blues rural, et, surtout, Son House, son futur mentor. Adulte, il devient musicien itinérant et suscite l'admiration de ses pairs grâce à son jeu de guitare et à sa mémoire musicale exceptionnelle. Une légende, également alimentée par le caractère superstitieux de certains de ses textes, commence alors à circuler : Robert Johnson aurait pactisé avec le diable ! En fait, ses paroles reflètent surtout sa vie précaire de marginal déraciné, tentant de survivre dans le milieu hostile des villes américaines, au gré de ses rencontres avec des femmes qui souvent l'entretiennent.
Dans cette chanson, les lignes aérodynamiques de la célèbre automobile Terraplane, produite à Detroit, sont métaphoriquement associées aux formes d'une femme au comportement malicieux. On voit aujourd'hui dans cette assimilation du corps féminin à un instrument de plaisir sexuel la marque d'une certaine misogynie. Celle-ci doit cependant être tempérée par le propos beaucoup plus respectueux d'un autre morceau enregistré le même jour, When you Got a Good Friend. La liste des artistes ayant repris Terraplane Blues est longue. Citons Big Joe Williams, Captain Beefheart, Canned Heat, Howlin'Wolf, Robert Lockwood Jr., Roy Rogers, John Lee Hooker ou encore le compère de Johnson, Johnny Shines.
Avec Muddy Waters, Robert Johnson anticipe la naissance du rock and roll, comme en témoigne le style de ce blues du Delta, qui sera vendu à près de 5 000 exemplaires dans le circuit des race records. On y retrouve l'impressionnante diversité d'une technique guitaristique qui sert habilement la voix. Il s'agit en fait d'une véritable démonstration : rubato expressif, manipulation de carrure à des fins dramatiques, rupture mélodique du jeu note à note, brusque changement de registre dans la voix avec des aigus déchirants mais précis... On imagine les doigts fins et longs de Robert Johnson courants sur le manche de son instrument parfaitement accordé pour jouer ses fameuses basses marchantes (walking bass).
C'est cette adaptation à la guitare du style pianistique boogie-woogie qui suscitera plus tard la vocation de Keith Richards (les Rolling Stones reprendront Love in Vain, une autre composition de Robert Johnson). Cette veine sera poursuivie par des artistes comme Eric Clapton ou même les Red Hot Chili Peppers.
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Écrit par
- Eugène LLEDO : compositeur, auteur, musicologue et designer sonore