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MALICK TERRENCE (1943- )

La ruine d'Éden

Les Moissons du ciel se terminaient avec le thème de la guerre et l'évocation de l'entrée des États-Unis dans le premier conflit mondial. À vingt ans d'écart, La Ligne rouge semble reprendre le propos à l'endroit où il s'était interrompu. La guerre est bien présente (le sujet du film, inspiré d'un roman de James Jones, est la bataille de Guadalcanal, en 1942-1943), ainsi que les préoccupations philosophiques et la mélancolie de son auteur. Mais la structure change, et l'on aurait tort de confondre la voix des narratrices des premiers films avec la multiplicité des « interventions vocales » des soldats de La Ligne rouge, forme inédite de polyphonie cinématographique. La grâce infinie du début du film où le soldat Witt vit chez les Mélanésiens indique une harmonie possible : le reste du film, les scènes de bataille et la perception intime de la réalité par différents personnages aboutira là encore à la ruine de l'Éden, et à l'invasion de cet « autre monde ».

Comme les films de Malick marchent jusqu'ici par deux, on retrouve la nage sous-marine – un des motifs du séjour en Mélanésie – au principe du Nouveau Monde ; mais, cette fois-ci, il n'y a pas d'invité, seuls les Indiens éprouvent le plaisir de fendre l'onde. L'unité d'inspiration se confirme par le travail sur les voix intérieures, de moins en moins narratives, toujours plus méditatives, et par l'utilisation du travelling avant, figure qui semble conçue pour l'exploration d'un territoire vierge. Le Nouveau Monde raconte l'histoire du plus authentique rêve américain, celui de la fusion du Nouveau Monde et de l'Ancien. Le mythe de John Smith et de la princesse indienne Pocahontas évoque le deuil initial d'une chance toujours déjà manquée de mutuelle fécondation au sein de ce que Gertrude Stein appelait « le plus vieux pays du monde ». La fusion interdite se réalise pourtant par le biais des voix intérieures. Malick sait aussi composer les images du mythe, comme l'illustre le plan inoubliable de l'arrivée des navires anglais montrée du point de vue du « nouveau » monde et de ses habitants.

Après un détour par le théâtre et certains projets abandonnés (un Tartuffe notamment), Terrence Malick s’est engagé dans une nouvelle période de son œuvre cinématographique avec la bénédiction de Hollywood, certaines des plus grandes vedettes se bousculant pour apparaître (George Clooney, John Travolta) ou tenir des rôles importants (Nick Nolte, Sean Penn, Brad Pitt) dans ses films.

— Marc CERISUELO

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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