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TERTULLIEN (155 env.-env. 225)

Le théologien et l'écrivain

Les trente et un traités qu'on possède n'épuisent pas toute l'activité de Tertullien : on en connaît, par leurs titres, une dizaine d'autres, ainsi qu'un ouvrage important en sept livres, Sur l'extase (De ecstasi), sans doute écrit en grec (Tertullien était bilingue).

La place qu'occupe Tertullien dans l'histoire du christianisme est de premier ordre. S'il n'est pas à proprement parler le créateur du latin théologique, il est à coup sûr un artisan remarquable de sa création. Sa doctrine trinitaire et sa christologie (affirmation des deux natures dans l'unique personne du Christ) constituent un apport précieux à la théologie chrétienne naissante. Une génération plus tard, l'évêque de Carthage, saint Cyprien, reconnaîtra Tertullien pour son « maître » – sans toutefois le nommer ! Bien entendu, la théologie de Tertullien reste marquée par les conditions contraignantes dans lesquelles il l'a élaborée : en particulier, elle ne constitue pas un véritable « système ». Mais c'est au contact des hérétiques qu'il fut conduit à réfléchir sur le dogme, à l'approfondir, à le formuler. De ce point de vue, son passage à l'hérésie montaniste fut sans grandes conséquences, car celle-ci concernait uniquement la discipline. Lui-même, d'ailleurs, était convaincu que le « règne du Paraclet » exigeait un rigorisme plus strict, la règle de foi demeurant intangible.

Il est clair que Tertullien doit beaucoup à ses devanciers grecs : Tatien, Athénagore, Justin, Irénée entre autres. Mais, par rapport à eux, son originalité est indéniable. Il est le premier en Occident à avoir tenté, autant qu'il le pouvait, la synthèse entre la culture païenne et la foi chrétienne, même si cette synthèse est parfois difficile, incomplète ou imparfaite. De son débat avec la philosophie on ne retient généralement que l'aspect négatif : la critique ou la satire des systèmes philosophiques. En réalité, ce n'est pas la philosophie qu'il vise dans ces cas, mais l'usage, qu'il juge néfaste, qu'en font ses contemporains gnostiques. Le trop fameux Credo quia absurdum, qu'il n'a pas prononcé sous cette forme provocante, n'est pas la profession de foi d'un antirationaliste, mais tout simplement l'adaptation d'un type d'argument rhétorique déjà analysé par Aristote et couramment utilisé : le témoignage d'Origène dans le Contre Celse ne laisse aucun doute à ce sujet. D'autre part, sa connaissance des philosophies païennes est approfondie : elle repose souvent sur la lecture méditée des grandes œuvres – et au premier chef celles de Cicéron et de Sénèque. Tertullien avait enfin une solide formation de « rhéteur », au meilleur sens du terme. Beaucoup de ses traités se comprennent mieux si l'on veut bien se référer aux cadres de pensée des Anciens, à leurs structures mentales, à leurs critères de jugement, à leurs valeurs esthétiques. Converti au christianisme, Tertullien n'a pas renié sa culture. Au contraire, sa foi s'est greffée sur elle. Et la connaissance de sa culture païenne, qui est vaste et diverse, permet de mieux saisir le cheminement de sa réflexion chrétienne, voire celui de sa propre évolution religieuse.

Mais Tertullien appartient également de plein droit à l'histoire de la littérature latine. Il est en effet toujours demeuré « homme de lettres » ; et si l'inspiration de son œuvre est « nouvelle », il n'y a pas de hiatus en ce qui concerne l'esthétique et la conception littéraire de ses traités. L'enseignement de Cicéron et de Quintilien est, le plus souvent, respecté : c'est dire que les liens tissés depuis longtemps entre la rhétorique, le droit et la philosophie apparaissent en filigrane dans ses ouvrages. Mais Tertullien surprend parfois[...]

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