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TESS D'URBERVILLE, Thomas Hardy Fiche de lecture

Une tragédie romanesque

Tess d'Urberville est, sous une forme romanesque, une tragédie où le destin ne laisse aucune chance aux individus qu'il enserre dans des rets de plus en plus serrés. Le fatalisme de Thomas Hardy s'exprime largement ici : Alec meurt assassiné pour expier sa séduction égoïste, Tess pour y avoir cédé, Angel paie de sa souffrance son manque de compassion. Le propos de Hardy n'est pas d'expliquer ce destin collectif par des conditions sociales. Certes, les Durbeyfield, qui se targuent d'être la branche aînée de leurs cousins d'Urberville, sombrent dans la misère et la décadence, mais le roman n'est ni réaliste, ni encore moins naturaliste. Le destin ici en cause fait écho à celui qui marque la tragédie antique, il est avant tout individuel. Si Tess se laisse convaincre par ses parents d'aller travailler chez les d'Urberville, elle ne le fait que pour expier la mort du cheval de la famille, dont elle est responsable. Sans l'apport de ses gages, jamais les siens n'auront les moyens d'acquérir un autre animal.

À partir de là s'enclenche un mécanisme fatal, orchestré d'abord par Alec qui feint la loyauté : « Là !... J'ai dit que je ne m'approcherais pas de vous, et malgré une de ces tentations que jamais mortel n'a éprouvée jusqu'ici, je tiendrai parole ». Après avoir été séduite par Alec, Tess se voit prise dans un engrenage qui la mène au meurtre et à la pendaison. L'épisode du mariage avec Angel Clare n'est qu'un intermède, l'expression de la cruauté d'un destin inique, qui se moque en laissant croire à la possibilité d'une issue heureuse. Dès l'aveu de la nuit de noces, ce monstrueux destin reprend le dessus. Au moment où elle est arrêtée, après sa fuite avec Angel, Tess elle-même avoue que les brefs instants volés au malheur ne pouvaient durer : « C'est comme cela devait être, murmura-t-elle. Angel, je suis presque heureuse... oui, heureuse ! Ce bonheur n'aurait pu durer. C'était trop. J'ai eu mon compte, et maintenant je ne vivrai pas assez pour que vous me méprisiez. »

Là est la clé de l'ensemble du roman : la soumission au destin, fût-il impitoyable. Aucun des personnages ne se révolte véritablement contre sa condition, choisissant comme seule et dérisoire réaction la fuite : Alec part loin de Tess enceinte, Angel fuit Tess après ses aveux, Angel et Tess tentent d'échapper ensemble au châtiment qui va frapper la jeune femme. L'ultime phrase prononcée par Tess résume toute la philosophie pessimiste de l'œuvre : « Je suis prête, dit-elle, tranquillement. » Ainsi les personnages ne font-ils que passer, qu'habiller la trame d'un roman dont le principal protagoniste est en réalité un destin qui les soumet, sans leur laisser jamais la possibilité d'en devenir maîtres et de l'accomplir. Ce roman a fait l'objet en 1989 d'une adaptation cinématographique de Roman Polanski.

— Jean-François PÉPIN

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Écrit par

  • : agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur au lycée Jean-Monnet, Franconville

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