TEXTES ESTHÉTIQUES (F. W. J. Schelling)
Les réflexions sur l'art du philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling (1775-1854) ont eu une incidence majeure sur l'histoire intellectuelle allemande des années 1790-1820, et ce pour deux raisons. Non seulement elles ont exercé une influence importante sur de nombreux écrivains, philosophes et artistes de cette période – parmi lesquels Goethe, Hegel ou encore le paysagiste Josef Anton Koch –, mais elles jouèrent aussi un rôle clé dans l'élaboration du système philosophique de Schelling lui-même.
En rééditant – parmi plusieurs autres ouvrages de la collection L'Esprit et les formes – les Textes esthétiques de Schelling, traduits par Alain Pernet et présentés par Xavier Tilliette pour la première fois en 1978, les éditions Klincksieck rendent de nouveau accessible une anthologie précieuse par la pertinence de ses choix. Les réflexions de Schelling sur l'art y sont embrassées dans la totalité de leur développement chronologique, c'est-à-dire depuis les Lettres sur le dogmatisme et le criticisme de 1795-1796 jusqu'à la Philosophie de la mythologie des années 1815-1820. L'ampleur de ce découpage permet de cerner l'importance que l'auteur accorde très tôt à l'art. Le Système de l'idéalisme transcendantal de 1800 contient dans certains de ses paragraphes les axiomes essentiels de la Philosophie de l'art de 1802-1803 ou encore du Discours sur les arts plastiques de 1807. La nature, en tant qu'« être objectif », n'est séparée de l'homme, « être subjectif », qu'en apparence. Tous deux participent en effet d'une essence commune : « l'absolu ». Ressaisir cette unité absolue du subjectif et de l'objectif est aux yeux de Schelling la principale tâche que puisse se fixer l'intelligence humaine, une tâche qu'il confie certes à la philosophie, mais plus encore à l'art.
Pour Schelling en effet, la philosophie possède par rapport à l'art une faiblesse consubstantielle : elle ne peut parvenir à nous faire comprendre l'unité primordiale du subjectif et de l'objectif, du fini et de l'infini, du réel et de l'idéal, que par le biais de l'intuition « intellectuelle ». Le privilège exclusif de l'artiste est de nous amener à percevoir cette unité dans la matérialité même de l'œuvre d'art. Ainsi, l'art apparaît bel et bien comme la clé de voûte du système philosophique de Schelling. Ce rôle privilégié de l'art s'assortit d'une théorie particulière de l'imitation, notamment exposée dans le Discours sur les arts plastiques, ici traduit intégralement. La nature n'est pas pour l'auteur (qui fut d'abord, rappelons-le, un lecteur critique de Fichte) un agrégat d'entités inanimées, mais une force créatrice, une puissance en action. Imiter la nature ne signifie donc pas procéder à la reproduction exacte des formes sensibles, mais prendre pour modèle « l'esprit créateur » qui les habite.
Les Textes esthétiques permettent de mesurer l'ambiguïté de la position de Schelling dans le contexte allemand des années 1790-1820. D'un côté, ces réflexions sur l'art présentent d'indéniables parentés avec ce qu'il est convenu d'appeler le « premier romantisme », au contact duquel elles se sont en partie formées. Schelling figure à côté de Novalis et de Caroline Schlegel dans le groupe qui, à l'instigation des frères Schlegel, se réunit pendant l'été 1798 à Dresde – moment essentiel dans la constitution du discours romantique sur l'art. S'il n'a certes pas collaboré à l'Athenaeum, son Système de l'idéalisme transcendantal fait directement écho à certains thèmes majeurs de cette grande revue romantique, et notamment aux réflexions de Friedrich Schlegel sur la « mythologie[...]
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Écrit par
- Elisabeth DÉCULTOT : chargée de recherche au C.N.R.S.
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