THALER DE MARIE-THÉRÈSE
Parmi les grandes monnaies au rôle historique international, le thaler de Marie-Thérèse fut sans doute une des plus importantes et qui eut la plus étrange carrière.
Le thaler doit son nom à son lieu de frappe originel, la ville bohémienne de Joachimsthal, d'où vint Joachimsthaler puis, par abréviation, thaler. Le mot eut une remarquable postérité en Europe (daler, daalder, talar, etc.) puis, et surtout, en Amérique sous le nom de dollar et enfin en Extrême-Orient. Le thaler autrichien, initialement d'un poids supérieur, se rapprocha de la pièce espagnole équivalente, le douro, et de sa variante d'Amérique du Sud, la piastre.
La pièce de 28,0668 g d'argent au titre de 833,33 p. 1 000 prend son type définitif sous le règne de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche.
Le thaler fut frappé pour la première fois à son effigie en 1751 à Vienne et à Halle. Il était et demeura une fort belle pièce portant à l'avers le nom de Marie-Thérèse, impératrice des Romains et reine de Hongrie et de Bohême, et sur la tranche les mots « justice » et « clémence ». Ces inscriptions, notamment les dernières, et la complexité des dessins étaient une garantie d'authenticité et permettaient d'écarter les contrefaçons. À ces qualités s'ajoutèrent l'absolue stabilité de poids et de titre. L'émission de 1765 fixa de manière définitive ses caractéristiques.
De 1751 à 1780, quelque 35 millions de pièces furent frappées. Après 1780, date de la mort de Marie-Thérèse, toutes les pièces nouvelles, bien que largement postérieures, continuèrent de porter cette date.
Ce thaler de Marie-Thérèse fit, à la fin du xviiie et surtout au xixe siècle, la conquête d'une grande partie du monde arabe et africain. Les causes de l'extraordinaire succès de cette pièce demeurent controversées. Aux raisons techniques de bon aloi, de qualité de frappe, s'ajoutent des raisons psychologiques : beauté de la pièce qui l'oriente vers l'ornement et la parure, impact de l'image de l'impératrice. Entourée d'un voile de veuve, marquée d'un certain embonpoint, elle aurait évoqué aux négociants arabes l'image symbolique de la femme.
Quelles que soient les causes matérielles ou psychologiques de cet engouement, le thaler fit bientôt prime dans les échanges alors déséquilibrés en faveur de l'Est, entre l'Europe et le Proche-Orient.
Les frappes se succédèrent régulièrement, même après 1851 lorsque le thaler fut retiré de la circulation monétaire en Autriche. À partir de 1866 la frappe, exclusivement consacrée à l'usage extérieur, se concentra à Vienne.
Ayant supplanté la piastre, le thaler fut l'objet d'émissions à partir des pièces espagnoles acquises par les négociants, envoyées par leurs soins dans les ateliers monétaires d'Autriche, fondues et refrappées au coin de Hongrie. Marseille devint à la fin du xviiie siècle la plaque tournante de ce négoce monétaire international, l'un des relais obligés de l'argent dans sa marche vers l'Est. Trieste la remplaça dans ce rôle au xixe siècle.
L'aire de diffusion du thaler ne cessa de s'étendre pour devenir, dans la seconde moitié du siècle, l'instrument mondial des échanges au Proche-Orient et dans les pays de la mer Rouge. On le trouva utilisé jusqu'aux Comores et à Madagascar vers le sud-est, jusqu'au Maroc et aux rives du Niger vers l'ouest, dans la région du Tchad et de l'Afrique centrale au sud, au nord jusqu'aux ports du golfe Arabo-Persique.
À partir des années 1880 s'amorce un repli général. La dépréciation de l'argent fit tomber régulièrement la valeur intrinsèque de la pièce. Sur la place de Djeddah, bon observatoire comme port d'entrepôt et port du pèlerinage à La Mecque, son cours tombe : en 1870, 5,50 F ; 1885, 4,30 F ; 1890,[...]
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Écrit par
- Jean-Louis MIÈGE : professeur émérite d'histoire à l'université de Provence
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