THASOS

Île presque ronde et montagneuse (1 203 m au mont Hypsarion), isolée en face de la côte thrace, près de l'embouchure du Nestos, Thasos est, à l'échelle de la mer Égée, une entité géographique importante par sa superficie (398 km²) et ses ressources naturelles : minerais, marbres, bois de charpente, vigne. Rien d'étonnant dès lors à ce que les Grecs aient pris possession de ce point stratégique aux confins du monde barbare. La cité qui s'y est installée au début du vii^e siècle av. J.-C. est rapidement devenue si prospère que, sans jamais parvenir au premier plan politiquement, elle a joué un rôle notable dans l'économie et la civilisation du monde grec. Les fouilles qu'y mène depuis 1911 l'École française d'Athènes révèlent dans toute sa diversité la vitalité de cette cité grecque moyenne, plus entreprenante qu'ambitieuse.

Thasos, colonie et alliée de Paros

L'occupation humaine de l'île est bien antérieure à l'arrivée des Grecs, comme l'ont prouvé les recherches menées depuis les années 1970 par le Service archéologique grec en divers points de l'île. Si les vestiges néolithiques sont jusqu'ici ténus, un petit habitat de l'Âge du bronze ancien (fin du III^e millénaire av. J.-C.), fouillé partiellement à Scala Sotirou, a livré de grandes stèles en gneiss et en marbre représentant schématiquement un guerrier en armes – extraordinaire préfiguration du travail de la pierre qui sera l'une des activités caractéristiques de la cité grecque. Un habitat et un cimetière du début de l'Âge du fer (900-800 av. J. -C.), découverts en 1970 sur un plateau du sud de l'île, dans l'arrière-pays de Potos, ont révélé d'autre part que la population prégrecque était d'origine thrace : la céramique y est comparable à celle des peuplades du continent.

La présence de Phéniciens à Thasos, affirmée par Hérodote (VI, 47) à propos des mines d'argent de Kinyra, dont ils auraient été les premiers exploitants, et à propos du culte local d'Héraclès (II, 44) – héros grec assimilé à un dieu phénicien – n'a reçu jusqu'à présent aucune confirmation archéologique, bien que le sanctuaire d'Héraclès ait été fouillé et que le site de ces mines ait été exploré en 1979-1981.

L'occupation de Thasos par des Grecs venus de Paros (Égée centrale) se place dans le cadre du grand mouvement de colonisation qui, à partir du viii^e siècle, élargit l'hellénisme à l'ensemble du bassin méditerranéen. Les textes antiques et les trouvailles archéologiques permettent d'en reconstituer ici le processus avec plus de précision et de vraisemblance que pour la plupart de ces cités nouvelles. Dans une première phase précoloniale, des Pariens ont commencé à hanter les parages de Thasos, établissant à titre privé des rapports plus ou moins réguliers avec les indigènes. Pausanias rapporte (X, 28, 3) que le grand peintre du v^e siècle Polygnote, le Thasien le plus célèbre avec son contemporain le boxeur Théagénès, avait représenté dans sa grande composition murale décorant la Leschè de Cnide, à Delphes, deux Pariens dans une barque, Tellis et la jeune Cléoboia : celle-ci tient sur ses genoux le coffre contenant les objets sacrés qui lui permettront d'établir à Thasos le culte de Déméter, la déesse patronne de Paros. Or une borne indicatrice du v^e siècle témoigne de l'existence, dans le sud de l'île, là où on aborde quand on vient du sud, d'une localité appelée Démétrion, non loin de l'habitat thrace récemment fouillé. Il pourrait y avoir eu là, sous l'égide d'une divinité familière aux deux parties, un lieu d'échanges comparable à ceux qu'on connaît en Italie du Sud.

Une génération plus tard, vers 680, le Parien Télésiclès dirige[...]