THE COLOR LINE. LES ARTISTES AFRICAINS-AMÉRICAINS ET LA SÉGRÉGATION
Présentée au musée du quai Branly du 4 octobre 2016 au 15 janvier 2017, The Color Lineretrace à travers de très nombreuses œuvres, sculptures, peintures, dessins, gravures, films et musiques, les grandes étapes de l’histoire noire américaine, mettant en lumière le lien étroit entre combat pour l’émancipation et créativité. Avec le critique d'art Daniel Soutif pour commissaire, l’exposition évoque tour à tour la condition des affranchis pendant la Reconstruction qui suit la guerre de Sécession, les premiers combats contre la ségrégation, la Grande Guerre, la Grande Migration, le chemin vers les droits civiques, et jusqu’aux succès rencontrés par des artistes africains-américains contemporains tels que Michael Jackson.
Qu’est-ce que l’art noir ? Naissance d’un débat
La sphère culturelle a longtemps représenté pour les esclaves une liberté d’expression qui leur était autrement déniée. En 1865, au terme de la guerre de Sécession, l’esclavage est aboli, mais la ségrégation se met en place. L’intellectuel noir W. E. B. Du Bois écrit en 1903 que « le problème du xxe siècle est celui de la ligne de couleur ». Le succès et la célébrité que bien des Africains-Américains rencontrent dans les arts, la musique, le sport ou le cinéma ne font en effet que souligner les discriminations qu’ils continuent de subir par ailleurs.
La période de la Reconstruction radicale, de 1865 à 1877, avec le contrôle du gouvernement fédéral sur les anciens États esclavagistes, semblait ouvrir la possibilité d’une émancipation pleine et entière. Mais le XIIIe amendement (1865), qui abolit l’esclavage, ainsi que les XIVe (1868) et XVe (1870) amendements, qui donnent enfin des droits aux affranchis, deviennent rapidement des « géants dormants » selon la formule de l’abolitionniste Charles Sumner. Par la violence, celle du Ku Klux Klan par exemple, puis par la jurisprudence, avec l’arrêt Plessy vs Ferguson en 1896, la classe dirigeante blanche du Sud impose la ségrégation raciale (separatebut equal) et les codes de lois ségrégationnistes dites « Jim Crow », du nom d’un personnage grimé en Noir des minstrelshows du xixe siècle, dont le pendant urbain est le coon. L’exposition présente de nombreuses affiches des spectacles blackface de Bert Williams, qui mettent en scène des Blancs grimés en Noirs et aux traits négroïdes exagérés, et reprennent les stéréotypes racistes.
Alors que Booker T. Washington recherche l’accommodement entre Blancs et Noirs et encourage l’apprentissage industriel, Du Bois appelle au contraire à la promotion d’une élite intellectuelle noire. Il fonde en 1909 la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People), dont il dirige le journal, The Crisis. Face aux représentations racistes, il promeut une contre-image en proposant notamment de neutraliser le discours des partisans de la suprématie blanche et en dénonçant le danger de les laisser écrire seuls l’histoire américaine. Son ouvrage, Les Âmes du peuple noir(1903), qui lie culture et résistance, trouve un écho important dans la sphère artistique. Selon Du Bois, la culture noire exprime une crise identitaire, un dilemme entre américanité et africanité qu’il définit comme une « double conscience ».
Entre les années 1890 et 1960, deux grandes vagues migratoires conduisent les Noirs vers le nord puis la côte ouest, dans les ghettos de Harlem, du South Side à Chicago ou de Watts à Los Angeles. Ces bouleversements se doublent d’une effervescence culturelle, la Renaissance de Harlem (1918 env.-1935). Les artistes noirs cherchent à inscrire leurs créations dans l’héritage culturel et historique de la nation dans son ensemble, comme le propose Alain Locke. Des peintres tels qu’Aaron Douglas (Into Bondage, 1936), Elizabeth Catlett ou encore Loïs Mailou Jones en sont les figures de proue. Certains s’exilent[...]
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Écrit par
- Lamia DZANOUNI : docteure en civilisation américaine
- Olivier MAHEO : enseignant en histoire, chargé de cours à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média