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THE ELEPHANT VANISHES (mise en scène de Simon McBurney)

C'est un curieux objet dramatique que la Maison de la culture de Bobigny a présenté du 1er au 9 octobre 2004, à l'occasion du festival d'Automne à Paris. Une inquiétante étrangeté est au cœur des œuvres d'Haruki Murakami qui, explique le metteur en scène britannique Simon McBurney, « nous entraînent, nous Occidentaux, en terrain familier et déconcertant à la fois ». Le spectacle, en japonais surtitré, est construit à partir de trois de ses nouvelles : L'éléphant s'évapore, La Seconde Attaque de la boulangerie et Sommeil (Haruki Murakami, L'éléphant s'évapore, trad. C. Atlan, Points-Seuil, 1998). Il s'ouvre par un happening déroutant, dont la réussite assure la transition entre l'espace du public occidental et l'univers déjanté de la scène où se projette l'imaginaire du Japon contemporain. Une hôtesse vient sur le devant de la scène, et informe la salle encore éclairée, dans un pauvre anglais international, du retard pris par le spectacle en raison d'un incident technique. L'effet hyperréaliste est réussi : la pièce, d'une maîtrise parfaite, a débuté.

Trois séquences, ponctuées parfois de démonstrations d'appareils ménagers, s'enchaînent alors autour de quelques personnages dont la silhouette d'une grande sobriété plastique autorise l'irruption d'une discrète excentricité – pyjama à rayures du personnage de L'éléphant s'évapore, casquette à la Bonnie and Clyde de La Seconde Attaque de la boulangerie ; le jeu des comédiens, entre pantomime et chorégraphie minimaliste, n'est pas sans évoquer la tradition du nō japonais. Mais la scène, que l'on dirait en noir et blanc sous l'effet des jeux d'ombre et de lumière dus à Paul Anderson, est investie d'autres éléments, à égalité d'importance avec les sujets humains, sans que l'on puisse parler ici de « décor » au sens traditionnel. Rendu apparemment réaliste par la présence de quelques objets concrets, citations pour certains de la modernité consommatrice, de la japonité pour d'autres – un panneau blanc coulissant ouvrant sur le lit conjugal –, l'espace est étiré dans toutes les dimensions par les images que diffusent des écrans de téléviseurs glissant sur des rails suspendus : elles redoublent notre vision de la scène, la précisant à force de détails agrandis – œil de l'éléphant, visage de la femme que la cloison nous dérobe –, ou la prolongeant dans un extérieur urbain impersonnel – souterrains, rocades, enseignes –, à moins que des idéogrammes lumineux ne viennent en surimpression habiller de mystère une scène déjà déréalisée. Vision de près, vision de loin, locale, globale : si le spectacle ne se prétend pas didactique, il n'en invite pas moins à considérer la place qui est la nôtre dans un espace traversé par un ailleurs, d'abord (télé)visuel, qui exacerbe la conscience, aux limites de la folie.

Chaque histoire, dont un narrateur discret mais omniprésent assure la continuité, saisit ainsi un individu dont le quotidien se voit soudain perturbé par l'intrusion d'un insolite à la fois libérateur et inquiétant. La disparition irrationnelle d'un éléphant du zoo fait l'objet d'une enquête minutieuse et dérisoire de la part d'un homme qui venait l'espionner à ses moments de loisir : « J'aimais l'observer pendant ses heures d'intimité tout bonnement. Je n'ai pas de raison plus profonde que cela. » La séquence suivante, La Seconde Attaque de la boulangerie, est la plus burlesque : elle met en scène un jeune couple qu'une faim démentielle réveille une nuit ; le contenu du réfrigérateur – des oignons, de la bière, un désodorisant – les incite à entreprendre, nouvelle version d'un hold-up commis jadis par le jeune homme[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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