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THE FABELMANS (S. Spielberg)

L’image révèle le réel

Si le film nous émeut dans son premier tiers, entièrement consacré à l’enfance du cinéaste, les deux autres abordent des circonstances plus traumatisantes de son adolescence. Ainsi des deux déménagements familiaux occasionnés par les promotions professionnelles du père, qui conduisent la famille Fabelman tout d'abord en Arizona, puis en Californie du Nord. Certes, ils n'entament en rien la passion cinéphile du fils, mais lui causent des désagréments qui le troublent considérablement. À Phoenix tout d'abord, tel David Hemmings dans Blow-Up de Michelangelo Antonioni (1967), Sammy découvre incidemment, en visionnant le métrage d'une séquence familiale, que sa mère est en train de succomber aux charmes de l'ami de la famille, Bennie (Seth Rogen), proche collègue de son père. Plus tard, dans son lycée californien, il sera fréquemment victime de l'antisémitisme ambiant. Dans ces deux lieux, Sammy (interprété dans cette partie par l'excellent Gabriel LaBelle) parvient toutefois à surmonter ces écueils grâce à sa caméra vénérée. Une première fois, il confronte sa mère à la preuve cinématographiée de sa tentation d'adultère, ce qui permet à celle-ci de partager un secret avec son fils, avant de pouvoir réellement s'émanciper. Une seconde fois, il règle ses problèmes avec son entourage scolaire californien, à l'occasion de la « journée de plage » où se retrouvent tous les lycéens. Il filme alors le vide humain de son harceleur raciste, tout comme les fausses apparences du play-boy de l'établissement. Une séance de projection triomphale l'imposera dans ce lycée comme cinéaste talentueux à défaut d'avoir pu être populaire par la taille, la blondeur et les muscles.

Réalisé dans son style habituel, alternant le classicisme fonctionnel hollywoodien et d'audacieux, mais toujours discrets, mouvements d'appareil, The Fabelmans, trente-quatrième long-métrage de Spielberg, restera dans son œuvre comme le document de référence sur son univers le plus intime et même le plus mystérieux. À l'image de l'étrange intervention de son grand-oncle Boris (Judd Hirsch), dont le vrai prénom a été conservé, de même que sa venue inattendue pour présenter ses condoléances tardives après la mort de sa sœur (la grand-mère maternelle de Sammy / Steven). Une venue dont profite Spielberg pour lui prêter des propos fictifs : Boris s’adresse fermement à son petit-neveu pour le convaincre de surmonter son tiraillement entre sa famille et son art. Cette incitation, qui a valeur de catharsis, permet au cinéaste de montrer par la suite l'entrée de son alter ego dans son futur monde professionnel. Là, il rencontrera incidemment John Ford, l'un de ses cinéastes de chevet – génialement ressuscité par David Lynch –, qui, selon son habitude, saura jouer de son image de réalisateur bourru pour lui dispenser, sous forme d’énigmes, d’essentiels conseils. Ce moment est suffisamment fort pour propulser l'« homme des fables » à venir dans les allées des studios Universal, où, au dernier plan du film, Spielberg rend un hommage spontané à Charlot et transforme le vieil adage talmudique de la mère de Sammy (« Tout arrive pour une raison ») en véritable sacerdoce.

— Michel CIEUTAT

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg

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