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THE LAST OF US (N. Druckmann et C. Mazin)

Au-delà de l’adaptation

La singularité de la série The Last of Us réside dans ses multiples pas de côté vis-à-vis du jeu initial. Là où ce dernier nous plongeait in mediasres dans un chaos contextualisé par des indices (une accroche en première page du Texas Herald, un extrait de journal télévisé), la série prend du recul en s’ouvrant sur un débat télévisé de 1968 dans lequel un épidémiologiste réputé annonce la pandémie virale à venir, qualifiant celle-ci de conséquence à long terme du réchauffement climatique et de la surconsommation humaine. La prédiction se teinte ainsi d’un ancrage social qui exonère d’emblée la série d’une finalité purement « ludique » : comme le suggère son titre, The Last of Us (« Les derniers d’entre nous ») propose de réfléchir au sort de notre humanité et aux conséquences de son inaction sur les dérèglements environnementaux suscités par un modèle capitaliste expansionniste. S’y mêlent des conflits internes qui constituent un autre frein à la prise de conscience : d’abord confondue avec une attaque terroriste, la menace virale, dans la série, met plus de temps à se décanter et à nous révéler ses « règles ». Le danger est donc double, dans le prolongement de la réflexion développée par la série Game of Thrones (2011-2019) sur les luttes de territoires et les alliances destinées à repousser un ennemi commun.

Ce qui permet à la série The Last of Us de se démarquer du jeu vidéo dont elle est tirée tient aux changements de forme narrative et de perception de l’action qu’elle propose. Par souci du spectaculaire, les spores toxiques du jeu sont abandonnées afin d’éviter d’embrumer l’image et de recouvrir les visages des protagonistes de masques à gaz. Dans la série, les hôtes infectés tentent d’« embrasser » leurs victimes au moyen de filaments contaminés qui sortent de leur bouche, le temps de saisissants instants d’épouvante. Les hôtes sont désormais interconnectés et la menace se constitue en réseau, en écho à la mondialisation. Suivant une narration à la fois épisodique et feuilletonnante, la série diversifie en outre les perspectives offertes au spectateur en accroissant le nombre de personnages dont on adopte ponctuellement le point de vue, dans le sillage du jeu vidéo qui permettait déjà de contrôler tantôt Joel, tantôt sa fille, Sarah, ou Ellie, « filmés » de dos, par-dessus l’épaule, selon une énonciation à la troisième personne.

Toutefois, le processus de singularisation ne s’arrête pas là. La série parvient aussi à éviter la « malédiction du jeu vidéo » en ce qu’elle montre l’évolution des relations entre ses protagonistes, quitte à réécrire parfois l’histoire du jeu vidéo. L’épisode 3 de la première saison, intitulé « Long, Long Time », prolonge ainsi l’histoire d’amour entre Bill et Frank, alors que ce dernier n’apparaissait pas physiquement dans le jeu conçu par Naughty Dog. Au long d’un récit de 1 h 15 mettant en pause le périple de Joel et Ellie, cet épisode, restreint au domaine surprotégé et autosuffisant que Bill s’est créé, substitue l’émotion à l’action en ouvrant deux figures marginales du jeu vidéo aux fantasmes, hantises et doutes existentiels que permettent de déployer les fictions cinématographiques et télévisuelles. Si le slogan de HBO proclame que « ce n’est pas de la télévision », on peut ajouter que l’adaptation proposée par la chaîne de The Last of Us ne constitue pas qu’une énième transposition audiovisuelle de jeu vidéo. C’est une œuvre d’art à part entière.

— Benjamin CAMPION

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Écrit par

  • : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignant contractuel à l'université Paul-Valéry-Montpellier III

Classification

Média

<em>The Last of Us</em>, C. Mazin et N. Druckmann - crédits : HBO

The Last of Us, C. Mazin et N. Druckmann