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THE MAGDALENE SISTERS (P. Mullan)

Lion d’or du festival de Venise 2002, violemment attaqué par la presse catholique italienne, The Magdalene Sisters se situe entièrement dans une de ces prisons-blanchisseries dirigées en Irlande par des religieuses (le dernier établissement de ce type fut fermé en 1993). Là se trouvaient détenues des femmes contraintes d’expier leur « déshonneur » grâce à une supposée rédemption par le travail, transformée en pure exploitation.

Catholique écossais d’origine irlandaise, Peter Mullan a été comédien chez Ken Loach (il reçut le prix d’interprétation au festival de Cannes 1998 pour le rôle-titre de My Name is Joe) puis metteur en scène d’un premier long-métrage, Orphans (1998). Davantage qu’une œuvre polémique ou scandaleuse, le cinéaste a voulu, avec The Magdalene Sisters, réaliser un film-débat sur un thème historique et social touchant au pouvoir de l’Église. Fondé sur de nombreux témoignages (la présence de l’actrice Phyllis McMahon, elle-même ancienne religieuse des « Magdalene homes », cautionne par son interprétation de sœur Augusta la véracité des faits rapportés), le film s’appuie en outre sur une enquête documentaire consacrée au sujet, Sex in a Cold Climate, qui a bouleversé le cinéaste lors de sa diffusion sur Channel 4 en 1998.

Fiction dramatique habilement structurée, « film carcéral » au rythme soutenu, The Magdalene Sisters suscite émotion et indignation à travers l’évocation, dans les années 1960, de quatre destins : Margaret (Anne-Marie Duff), violée pendant une fête de mariage, Patricia (Dorothy Duffy), fille-mère que ses parents obligent à abandonner son enfant, et Bernadette (Nora-Jane Noone), orpheline trop désirable, sont placées au secret dans cette « institution charitable ». Là, elles rejoignent Crispina (Eileen Walsh), simple d’esprit qu’un prêtre a violée. Avec ces femmes, le spectateur plonge dans l’enfer des violences d’un travail conduit sans répit ni salaire où les sévices et les vexations sont infligés sous couvert de rédemption, où la haine est l’autre face de l’amour divin, ces filles incarnant le Mal aux yeux de la religion du seul fait d’être de sexe féminin.

À l’exception du prologue et du dénouement en forme de procès-verbal (une des protagonistes parvient à s’enfuir, une autre est délivrée par son frère, mais la troisième n’a d’autre issue que de prendre le voile), le face-à-face entre bourreaux et victimes se déroule entièrement dans le huis clos d’un asile kafkaïen, livré au sadisme d’une horreur ordinaire, sous l’implacable enchaînement de ses lois et de ses rites. Très vite, le monde extérieur, à force d’être strictement refoulé derrière des grilles, devient un ailleurs tellement irréel et menaçant que, lorsque la porte du jardin restera ouverte par mégarde, une prisonnière sera incapable de la franchir pour s’enfuir. Victime sacrificielle, Crispina trouvera le courage de dénoncer publiquement son séducteur, mais s’enfoncera ensuite dans la folie, au cœur du troupeau de femmes humiliées et culpabilisées par un péché commis en réalité par d’autres. Car c’est bien la dictature exercée par tout un ordre moral que montre le film. Certes, l’Église est la première responsable. Mais son obscurantisme s’appuie sur la soumission des familles modestes, conservatrices et répressives, qui acceptent que leurs filles soient recluses dans ces maisons de redressement ; sur les patrons bienfaiteurs qui, aux jours de fête, franchissent les portes de l’institution avec leurs cadeaux (la petite caméra super-8 de l’ecclésiastique) ; et finalement sur toute une société hypocrite qui fait encadrer les malheureuses par la police lorsqu'elles traversent la ville, le jour de la procession du Saint-Sacrement.

Peter Mullan use parfois d’effets appuyés : ainsi, quand Bernadette remonte sa robe pour permettre au[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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