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THE SCIENCE OF ART, Martin Kemp

Machines et couleurs

Aussi ne doit-on pas davantage s'étonner de voir que Kemp analyse la construction de l'espace dans les Ménines de Diego Velázquez (1656, Prado, Madrid) sans citer les célèbres pages de Michel Foucault à leur sujet, en ouverture des Mots et les Choses (1966). Mais en décrivant la bibliothèque du peintre qui possédait quelques-uns des écrits théoriques les plus importants sur la géométrie, Kemp suggère que l'artiste, comme Rubens et pour les mêmes raisons, s'inscrit alors dans les formulations propres au « naturalisme scientifique » qui avait triomphé en Italie autour de 1600.

Kemp s'attache à montrer, dans la deuxième partie de l'ouvrage, que la maîtrise de la perspective linéaire ne fut pas le seul moyen de parvenir à une connaissance approfondie du processus de la vision. L'interrogation sur l'anatomie de l'œil et l'effort de construction de mécanismes et de machines selon le modèle oculaire suivent une histoire presque parallèle à celle du développement de la perspective linéaire. Mais l'ambition d'inventer une machine qui « imiterait » parfaitement la nature – machines perspectives, pantographe, camera obscura, camera lucida, appareil photographique, etc. –, et l'attention plus grande portée à la flexibilité du processus visuel finiront par éloigner de la perspective géométrique la réflexion sur la vision. Le xixe siècle sera d'ailleurs l'âge du doute radical sur la validité de la perspective géométrique, comme en témoigne la rébellion des artistes. Chez le critique Walter Pater (Studies in the History of the Renaissance, 1873), le désir d'affranchir l'art des règles de la science le réoriente vers une tout autre sphère : l'art aspire désormais à la condition de la musique. L'oscillation entre l'attraction des modèles scientifiques et l'inclination musicale se vérifie également dans le dernier thème qu'étudie Kemp, dans une troisième partie plus courte : la couleur. Deux grandes traditions ont orienté la théorie et la pratique de la couleur dans l'art occidental : la tradition aristotélicienne, qui fonde la théorie des trois couleurs primaires ; la théorie du prisme chez Newton, à laquelle correspondent, selon Kemp, les expérimentations des peintres Philipp Otto Runge ou William Turner. Georges Seurat est l'artiste qui illustre le mieux, en définitive, dans sa conception du contraste simultané des couleurs, à la fois la recherche appliquée de lois scientifiques susceptibles de fonder sa pratique picturale, et le désir de s'en remettre à l'idéal d'une peinture musicale.

— François-René MARTIN

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre

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