THE SERVANT, film de Joseph Losey
Joseph Losey (1909-1984) commença sa carrière dans le théâtre américain « progressiste » des années 1930, et apprit le cinéma par le biais des films éducatifs. Son premier court-métrage de fiction, A Gun in His Hand (1945), décrocha une nomination aux Oscars, mais Hollywood se méfiait. La « chasse aux sorcières », dont il fut la proie, ne fit que précipiter ce divorce. Il s'exila alors en Grande-Bretagne où il dirigea, avec succès, des polars sous un nom d'emprunt (La Bête s'éveille, en 1954, avec Dirk Bogarde déjà). Harold Pinter, quant à lui, avait construit sa réputation d'auteur de théâtre dans les années 1950 sur ses « comedies of menace » dont les dialogues jouent sur l'écart entre le dit et le caché. Il semblait tout indiqué pour rejoindre Losey sur un projet quelque peu décalé dans le contexte d'une Angleterre frileuse où des procès à répétition avaient empêché la publication de L'Amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence de 1928 à 1960... The Servant devait finalement enregistrer les craquements de cette société étouffante, trois ans avant qu'Antonioni n'en constate la libération partielle au sein du swinging London où se déroule son Blow up (1966).
La déchéance d'un architecte
Tony, architecte aux allures de playboy, revient à Londres après un long séjour en Afrique. Quelque peu désœuvré, il loue une maison et cherche un domestique pour y mettre de l'ordre et lui faire la cuisine. Hugo Barrett remplit parfaitement ces fonctions – du moins les premiers temps. Car peu à peu, Barrett prend des initiatives. Au début ce n'est rien, un bouquet changé de place, un sourcil réprobateur. Mais bientôt le voici qui snobe Susan, la fiancée de son maître, jusqu'à briser le couple naissant. Tony le laisse faire. Un beau jour Barrett installe Vera à l'étage supérieur, une jeune femme qu'il présente comme sa sœur quand nous savons par ailleurs qu'elle est sa maîtresse. L'opération semble secrètement destinée à jeter Tony dans les bras de Vera, et, sur ce point, elle réussit. Cependant, dans un ultime accès de volonté, l'architecte se rebelle et flanque à la porte tout ce petit monde... C'est le début de la fin. Il se laisse aller, s'installe dans la crasse et la dépression. La vérité se fait jour, il a besoin de Barrett. Alors, il le reprend à son service, mais le rapport maître/domestique a vécu, ce sont deux vieux amis qui partagent un foyer. Leur vie va désormais de querelles sordides en parties fines. Quelle ironie pour Tony, ce fils de bonne famille qui souhaitait « construire des immeubles destinés à loger le lumpenprolétariat »...
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Écrit par
- Laurent JULLIER : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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