THE SOUVENIR I & II(J. Hogg)
Récompensée de prix prestigieux pour deux de ses trois premiers longs-métrages (prix de la FIPRESCI, en 2008, pour Unrelated ; Léopard d’or à Locarno, en 2013, pour Exhibition), Joanna Hogg a vu son talent très singulier confirmé par l’attribution, en 2019, du Grand Prix du Festival de Sundance, dans la catégorie « Cinéma du monde », à la première partie de son quatrième opus, The Souvenir (2018). La seconde partie (2020), quant à elle, a suscité un grand enthousiasme lors de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en juillet 2021. Deux parties qui, certes, se font suite, mais dont la deuxième, d’une manière très surprenante, met la première en abyme.
Une passion toxique
The Souvenir Part I raconte la mésaventure sentimentale de Julie Harte (Honor Swinton Byrne). Étudiante en cinéma, introvertie et inhibée par le doute, mais aussi ambitieuse et compétitive, celle-ci est très représentative de l’esprit du néolibéralisme thatchérien des années 1980. On la voit s’éprendre d’Anthony (Tom Burke), un homme plus âgé qu’elle, intellectuellement fascinant, qui lui cache son addiction à la drogue. Une fois consciente du problème mais aveuglée par sa passion, elle finance cette dépendance en soutirant de l’argent à sa famille, jusqu’au jour où son amant succombe à une overdose. La créativité de Julie en pâtit alors considérablement.
Cette histoire à la trame plutôt banale est rendue envoûtante par une esthétique très maîtrisée. En effet, Joanna Hogg sublime son sujet et ses personnages au moyen de nombreux longs plans séquences fixes, où l’on sent son admiration pour Yasujirō Ozu et Éric Rohmer. Elle sait créer une vraie proximité avec ses protagonistes, bien ancrés dans leur environnement, principalement des intérieurs. Une autre influence est aussi révélée quand Julie entend Anthony mentionner le tandem formé au cinéma par Michael Powell et Emeric Pressburger, chez qui, comme dans Les Chaussons rouges (1948), l’amour se révèle incompatible avec l’ambition. Une remarque qui semble annoncer l’issue dramatique de leur liaison.
Mais c’est avec la seconde partie que The Souvenirprend son véritable essor. Julie y apparaît au plus bas, avant de se ressaisir et d’entamer sa renaissance en choisissant d’écarter, au grand dam de ses professeurs, le premier sujet de son film de fin d’études sur une famille du Sunderland, et de le remplacer par l’évocation de sa propre mésaventure amoureuse. Hogg nous la montre mettant en scène certaines situations vécues dans la première partie mais complètement transformées dans la version finale qu’elle présente à ses examinateurs et camarades de classe. On assiste alors à la projection d’un film fantasmé, qui représente plutôt le rêve qui la hante, à savoir une histoire d’amour à la fois enfiévrée et déconnectée du quotidien, où de nombreux éléments disparates se mélangent : des émotions fugaces, des fantômes, du brouillard, des scènes de rue en noir et blanc, un numéro dansé, des maquettes, un bal masqué, une galerie de glaces... Une séquence quasi onirique, très improvisée, conçue tout au long du tournage et marquée du souvenir de son propre film de fin d’études, Caprice (1986).
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Écrit par
- Michel CIEUTAT : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg
Classification
Média