THE SOUVENIR I & II(J. Hogg)
L’art de l’improvisation
Très à l’aise avec les portraits de couples et la description des rapports familiaux, Joanna Hogg l’est tout autant dans sa manière peu orthodoxe de réaliser un film. D’emblée, elle savait que ce serait un film semi-autobiographique en deux parties. Fonctionnant principalement à l’instinct, elle choisit ses acteurs sans faire d’essais. Amie de longue date de Tilda Swinson (son interprète de Capriceet ici celle de la mère de Julie), elle opta pour sa fille, Honor Swinton Byrne, pour le rôle de Julie. À vingt-et-un ans, elle aussi introvertie et dotée d’une vitalité inépuisable, elle correspondait parfaitement au personnage. En outre, Hogg vit en elle une manière très éthérée de se comporter, qui lui permettait d’être autant énigmatique que décidée pour incarner la chute puis la renaissance de son personnage. La cinéaste, plus intéressée par le vivant que par le vrai, ne l’informa jamais de l’action à venir. Pas plus qu’à ses interprètes non professionnels, comme cet agriculteur du Norfolk, James Spencer Ashworth, qu’elle engagea pour interpréter le père de Julie, elle ne lui proposa des répétitions. Le film fut tourné chronologiquement, sans scénario nistory-board, seulement d’après des notes figurant dans des carnets que pouvaient consulter tous les participants du film. Joanna Hogg multiplia souvent les prises (jusqu’à une dizaine), certaines pouvant parfois déterminer la suite de la narration, compte tenu d’un comportement inattendu d’un des protagonistes. Une liberté dans la création rendue possible par sa décision de faire construire les divers décors (appartements, école de cinéma) dans un ancien hangar de la Royal Air Force, y compris celui du musée censé abriter la Wallace Collection, reconstitué dans un manoir.
Le résultat frappe par la beauté plastique de la composition des plans, aussi sobre qu’élaborée. Des images réalisées en 16 ou 35 mm numérique et argentique alternent avec d’autres en Hi8, et même un métrage en super-8 amateur de la cinéaste, que le chef opérateur David Raedeker et la monteuse Helle Le Fevre ont pertinemment coordonnés. Une beauté qui émane aussi de la justesse expressive de Honor Swindon Byrne, dont le jeu, tout en retenue, provoque une intense participation affective du spectateur. Une adhésion soutenue par l’emploi d’une palette évolutive de couleurs (bleu profond, rouge, or) de la part de la cheffe costumière Grace Snell, qui permit d’exprimer la progression psychique (humeur lourde, colère, résignation) de Julie, finalement amenée à s’épanouir (l’ensemble du décor étant alors nimbé des couleurs de l’arc-en-ciel). À cela s’ajoute un travail très précis de montage des sons directs, signé Jovan Ajder, qui contribue beaucoup au souhait majeur de la cinéaste d’ « exprimer quelque chose de réel d’une façon imaginaire »(Positif, no 732, févr. 2022). Il en résulte un diptyque très surprenant, que Martin Scorsese, son producteur exécutif, avait su déceler dès son état de simple projet.
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Écrit par
- Michel CIEUTAT : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg
Classification
Média