ALLEMAND THÉÂTRE
Le théâtre en RDA
Le poids d'une norme esthétique
Si la politique antifasciste menée à l'Est dans la zone d'occupation soviétique depuis 1945 ne contredit pas foncièrement les choix théâtraux qu'on peut observer à l'Ouest, la création de la RDA en 1949 engage une véritable rupture, à l'heure de la guerre froide. Cette rupture s'exprime moins dans l'organisation matérielle du théâtre – un réseau d'établissements publics ayant son analogue en RFA – que dans la tentative du Parti, devenu État, pour imposer à la vie culturelle la loi d'une révolution prescrite par en haut et, au demeurant, importée de l'extérieur. D'où la pesanteur du réalisme socialiste, « méthode artistique » définie en URSS dès 1934 par Jdanov, ministre de Staline, et appelée à « représenter la réalité dans son développement révolutionnaire », en vue de « la transformation idéologique des travailleurs dans l'esprit du socialisme » ; définition assortie d'une condamnation du « formalisme », terme générique sous lequel sont livrés à la suspicion les avant-gardes des années 1920 et plus généralement la modernité en art. Dans l'ordre du théâtre, priorité est alors donnée à la fable aristotélicienne et à sa fonction cathartique, tandis que restent indésirables les procédés ou les stratégies de montage et de distanciation, les partisans de ces derniers entendant briser l'illusion dramatique pour faire jouer à plein et à nu les effets critiques et utopiques de la mise « en scène ».
Au fil des ans, et avec des alternances de durcissements et d'assouplissements, le réalisme socialiste perdra son caractère dogmatique et admettra une pluralité d'approches et de techniques artistiques. Néanmoins, l'histoire du théâtre est-allemand reste marquée jusqu'au bout par un climat de censure dont l'enjeu est le contrôle des esprits plus que la doctrine esthétique en tant que telle. De là aussi, dans le milieu théâtral comme dans d'autres, des vagues successives de départ vers l'Ouest (T. Brasch, S. Schütz, B. Besson, M. Langhoff...). Tout se passe comme si la surveillance bureaucratique avait suscité, bien avant l'unification, d'involontaires échanges « germano-allemands ». Les limites intrinsèques de cette surveillance ont favorisé aussi, contradictoirement, l'écoute à l'Ouest du théâtre de l'Est.
De plus, la première génération de dramaturges – les fondateurs – n'était pas malléable comme une cire molle. Communistes ou sympathisants ayant fait leurs armes sous la République de Weimar, ils ont connu ou pratiqué bien des versions du théâtre engagé. Friedrich Wolf (1888-1953) se recommande davantage aux autorités culturelles par une dramaturgie relativement traditionnelle, postulant l'identification du spectateur à un personnage central, confirmé à travers les conflits comme un héros foncièrement positif. Bürgermeister Anna (Le Maire Anna, 1950) est la première pièce à mettre en valeur la productivité sociale des femmes dans un pays en chantier.
Quant à Bertold Brecht (1888-1956) revenu d'exil à Berlin-Est à l'automne de 1948, il réaffirme dans le Petit Organon sur le théâtre les principes, peu conformes à la dramaturgie classique, de son théâtre épicodialectique : l'effet de « distanciation » vise à libérer le spectateur du spectacle, en faisant jouer, comme un ferment actif, les contradictions à l'intérieur du monde représenté, ainsi que du mode de représentation. L'auteur entend briser par là non seulement avec le tragique de représentation, mais aussi avec l'optimisme de routine. Commence alors l'histoire complexe des relations entre le théâtre brechtien et le réalisme socialiste. C'est avec le Berliner Ensemble, fondé la même[...]
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Écrit par
- Philippe IVERNEL : enseignant, chercheur
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