ALLEMAND THÉÂTRE
Une nouvelle génération
Dans une communication au cinquième Forum du théâtre européen (2000), Günther Rühle, observateur et critique avisé a fait remarquer que le théâtre en Allemagne, même s'il semble fort de l'intérieur (avec Heiner Müller et l'héritage de Brecht, avec l'apport autrichien de Thomas Bernhard, avec la sensibilité d'un Botho Strauss) apparaît au contraire, vu de l'intérieur, affaibli et peu sûr de lui : « Chercher, essayer est aujourd'hui son gestus. » Après la chute du Mur de Berlin en 1989, et l'ébranlement du concept de politique par la mondialisation, « la découverte d'une identité s'est faite simultanément à sa remise en cause ». Et il ajoute : « Le théâtre en Allemagne de l'Est, l'ancienne RDA, a été confronté du jour au lendemain, par ces événements, à une liberté qu'il a tout d'abord dû comprendre comme un gain et investir d'un nouveau contenu, au moment où à l'Ouest, justement, la valeur de ce gain avait déjà sombré dans l'évidence de sa pratique quotidienne. Tout cela engendre dans le théâtre allemand une certaine confusion. »
Les Lumières – et leurs valeurs maîtresses : instruction, émancipation, transformation – avaient pu constituer l'idée régulatrice des metteurs en scène contestataires, engagés après 1968 dans la gestion de l'appareil théâtral en Allemagne : les Zadek, Stein, Neuenfels, Peymann, Flimm, Grüber, Bondy, d'autres encore. Les jeunes metteurs en scène d'aujourd'hui, petits-enfants des premiers, sont décrits, toujours par Günther Rühle, comme de bons artisans, souvent fort experts, et tentant de compenser le déficit de signification et de capacité à émouvoir, par l'artifice, l'ironie, une musicalité rock et rythmée. On se trouve alors « dans un paysage réduit à une dramaturgie de l'état d'âme ».
Fin du théâtre politique ?
Dans un registre voisin, la revue Theater Heute a organisé en 1995, pour son bilan annuel du théâtre de langue allemande, un entretien avec quelques-uns de ces nouveaux metteurs en scène : Stefan Bachmann, Ernst M. Binder, Thirza Brunckers, Jens-Daniel Herzog, Martin Kušej, Peter Wittenberg. En activité depuis deux à dix ans, ils se disent spécialement à l'écoute des auteurs contemporains, citent entre autres les Autrichiens Werner Schwab et Gert Jonke, ou l'Allemand Lothar Troller. Significative est l'intervention de Herzog, reconnaissant à une pièce de Simone Schneider le mérite de formuler, selon lui, « une expérience fondamentale de notre génération, à savoir qu'une réalité sociale apparaît tout à fait opaque, lisse, superficielle, inattaquable, sans résistances ou s'accrocher ».
Est-ce à dire que le théâtre politique – une spécialité allemande, s'il est permis de dire – est voué au dépérissement ? Günther Rühle, qui en avance l'hypothèse, met à part en tout cas, comme des contre-exemples, ce qu'il appelle les « règlements de compte théâtraux de Castorf (Trilogie allemande), les actes monumentaux de Schleef (Pièce sportive, peuple trahi) et les radiographies futées des processus grégaires d'adaptation chez Marthaler ». Dans les mises en scène de ces trois-là, précise-t-il, tout comme dans celles d'un Leander Hausmann, nous sommes moins touchés par les contenus ou les messages que par « des énergies, des atmosphères, la colère, la force, l'imagination, le plaisir du jeu, l'émotion, l'exubérance, la dimension corporelle et la dynamique, les accessoires du jeu et les effets d'espace ».
Frank Castorf a su faire de la Volksbühne, à Berlin, depuis qu'il en a pris la direction au début des années 1990, un lieu ouvert et inventif, fort recherché d'un public jeune. Né en 1951, fils de l'Est, un de ses premiers grands succès[...]
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Écrit par
- Philippe IVERNEL : enseignant, chercheur
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