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THÉÂTRE AMATEUR

Un théâtre du lien social

La résurgence du théâtre amateur se traduit d'abord en termes quantitatifs. Après une baisse considérable du nombre des troupes (de 17 000 environ en 1954, elles ne sont plus qu'autour de 4 000 dans les années 1970), la courbe s'est inversée : le nombre des groupes récemment inventoriés par le ministère est de 12 000, dont 9 000 sous forme associative et 4 000 affiliés à une fédération, ce qui correspond à la participation de 500 000 à 600 000 personnes selon le mode de calcul. 87 p. 100 de ces personnes pratiquent dans une perspective totalement amateur (8 p. 100 seulement souhaitent ou ont souhaité devenir professionnels).

Une évolution importante concerne la genèse et la vie des groupes : à côté des troupes à l'ancienne, inscrites dans des territoires et des organisations stables (patronages laïcs ou religieux, comités d'entreprise, associations de village ou de quartier, universités...) comme le T.R.A.C. de Beaumes-de-Venise, le Tréteau des deux tours de La Rochelle, etc., de nouveaux collectifs de pratiquants, plus éphémères et plus mobiles, se forment d'abord par affinités électives, dans des ateliers, des associations d'insertion, dans des hôpitaux, des théâtres... À partir d'un projet de spectacle, le groupe se stabilise, se donne un nom (le Conciliabule à Saint-Nazaire, les Démons et merveilles à Paris...), contribuant lui-même à la création d'un nouvel espace commun.

Du fait de relations devenues presque partout fréquentes avec diverses catégories de professionnels (comédiens, techniciens, metteurs en scène, auteurs et traducteurs), les réalisations scéniques ont beaucoup évolué et l'on peut parler dans bien des cas d'un véritable travail théâtral. Si le groupe sait garder l'initiative, si ses conseillers savent le respecter, le spectacle amateur acquiert une beauté spécifique. Dans certains cas, comme au Théâtre du peuple de Bussang, la rencontre peut engendrer un véritable laboratoire de formes.

Le changement le plus considérable est sans doute celui qui touche le répertoire (le théâtre des amateurs était, reste, redevient un théâtre de texte). Du fait des décentralisations théâtrales successives et de l'activité d'un certain nombre d'institutions culturelles (maisons de la culture, comme à Nantes, bibliothèques, comme à Saint-Herblain), de la patiente activité de nombreuses associations (comme les A.D.E.C. en Bretagne, ou l'A.N.E.T.H., engagée dans la diffusion de textes contemporains) et des grandes fédérations (F.N.C.T.A., F.N.F.R., F.O.L...), enfin de la maturation des compagnies elles-mêmes, les amateurs jouent de plus en plus des formes contemporaines (à côté de Camoletti et autres auteurs de comédies légères, on trouve Dubillard, Obaldia, Grumberg, Lagarce, Alègre, Belbel...). Leur choix continue d'obéir à des critères particuliers : le spectacle doit être tel qu'il ne domine pas l'assistance. On « joue à jouer », et on le sait – ce qui n'interdit pas le grave et le tragique, mais travesti en comédie ou capable de revêtir les formes grinçantes et plus modestes de la farce (quelques noms encore d'auteurs qui se prêtent particulièrement à ce jeu : Sarraute, Ionesco, Dario Fo, Visneic, Kermann). Il est fréquent d'écrire ou d'adapter soi-même des romans (Agota Kristof), des essais, des films (Federico Fellini). On n'obéit pas forcément aux goûts prétendus du public, mais on sait devant qui on assumera ses choix.

Ces mutations, pour lesquelles les amateurs attendent aujourd'hui des soutiens (locaux, moyens techniques, accès facilité aux œuvres...) traduisent le souci qu'a ce théâtre d'évoluer tout en étant fidèle à son mode d'inscription dans la vie sociale : d'un côté, il voyage de plus en plus, se produit dans des [...]

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Écrit par

  • : chargée de recherches au C.N.R.S. (laboratoire Arias), chargée de cours à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle (I.E.T.)

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