MOSCOU (THÉÂTRE D'ART DE)
Célèbre théâtre au centre de la vie culturelle moscovite pendant près d'un demi-siècle. Il fut créé à la suite d'une conversation de dix-huit heures d'affilée entre Konstantin Stanislavski, directeur d'une troupe de théâtre amateur de la Société moscovite d'art et de littérature, et Nemirovitch-Dantchenko, auteur dramatique et directeur de l'École moscovite de philharmonie. Mus par un même goût du théâtre et par leur désir de renouveler complètement celui-ci, ces deux hommes veulent le débarrasser de la sclérose qui le ronge ; en effet, à la fin du xixe siècle, cet art est en train de se figer dans des conventions, des procédés et une habileté technique qui confine au cabotinage. Avec une ferveur religieuse, ils définissent « l'esprit » de leur nouveau théâtre dont le grand maître à vénérer est l'Art. Au centre, l'œuvre, pivot de l'édifice, dont l'interprétation devra être aussi fidèle que possible. Au service de l'œuvre, les acteurs, piliers de l'édifice, qui formeront une troupe cohérente, animée par un esprit collectif. Pour finir, le théâtre fut déclaré « accessible à tous ».
Un peu plus d'un an après cet entretien, le Théâtre d'art ouvre ses portes, le 14 octobre 1898, avec Le Tsar Fédor, drame historique d'Alexis Tolstoï. Stanislavski, influencé par la rigueur des mises en scène de la compagnie allemande des Meininger, imprègne ce premier spectacle et ceux qui suivent de « réalisme historique ». Pour Jules César, le souci d'exactitude fut tel que la troupe du Théâtre d'art alla passer quelques jours à Rome, et ce ne fut pas le seul exemple de sa fidélité aux sources. Mais avec la création de La Mouette de Tchekhov, d'extérieure l'action scénique devient intérieure. Une nouvelle phase s'ouvre, fondée désormais sur l'intuition, le sentiment et le sens artistique qui mène à la véritable « création organique », avec laquelle les mises en scène du Théâtre d'art trouvent leur équilibre. Les représentations d'Oncle Vania, des Trois Sœurs, de La Cerisaie sont suivies de celles des Bas-Fonds et des Petits Bourgeois de Gorki. Avec ce dernier, le théâtre entre dans son stade social et politique. Puis Stanislavski se tourne de plus en plus vers le théâtre expérimental et fonde un studio annexé au Théâtre d'art. Il se trouve en 1905 dans une impasse. Il encourage les recherches de son élève Meyerhold, fait mettre en scène Hamlet par Gordon Craig et, avec Maeterlinck, essaie de porter l'irréel à la scène. C'est alors l'époque des expériences, celles des pièces de Knut Hamsun, de Leonide Andreïev, où toute l'attention de l'acteur est concentrée dans l'« âme » de la pièce afin d'atteindre l'état créateur. Un mois à la campagne de Tourgueniev est une réussite du genre.
En 1917, la révolution donne une impulsion nouvelle. Le public, jusque-là limité à l'intelligentsia libérale, se trouve subitement plus mêlé, et les gens viennent au théâtre pour apprendre. Stanislavski, soutenu par le gouvernement de Lénine, monte alors le Caïn de Byron, qui lui semble avoir la portée spirituelle et sociale nécessaire, mais dont la mise en scène fastueuse n'a pas de succès. Il tente à plusieurs reprises d'adapter les classiques russes au goût du jour (Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski), mais sans résultat. Le Théâtre d'art se sent pris de vitesse par une révolution théâtrale qui veut se passer de dramaturges et réclame des spectacles utilitaires. Aussi, la troupe part-elle en tournée en Europe et aux États-Unis. Revenu à Moscou en 1924, Stanislavski reste prisonnier de ses tâtonnements et de ses incertitudes. Il ne créera plus que quelques spectacles jusqu'à sa mort en 1938.
Fondé sur une moralité artistique exemplaire,[...]
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- Hélène LACAS : auteur
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