THÉÂTRE DANSÉ
Comment définir et surtout circonscrire le « théâtre dansé » ? Originaire d'Allemagne, sa théorie est mal connue en France et a donné lieu à beaucoup d'approximations. Par ailleurs, l'utilisation du terme « danse-théâtre », traduction fautive du Tanztheater allemand, néglige l'aspect adjectival, dans cette langue, d'un mot placé avant le substantif.
L'idée de coupler la danse et le théâtre est ancienne. Déjà, Noverre dans ses Lettres sur la danse (1760) avait cherché à arracher la danse aux conventions figées mises en place par l'Académie royale de danse. Le théâtre comme vecteur de signification pouvait alors conférer une épaisseur nouvelle au geste dansé, tout en l'inscrivant dans l'esthétique naturaliste de l'époque. Le « ballet d'action » de Noverre emprunte à la rhétorique ancienne la notion d'actio, gestique accompagnant la parole. Le ballet d'action se fondant sur un livret ou un argument pré-existant, le geste se trouve « géré par un texte extérieur à la scène » (Michel Febvre)
Par la suite, l'Allemagne allait être le premier berceau de la danse moderne en Europe, grâce à deux personnalités majeures : Rudolf von Laban (1879-1958) et Mary Wigman (1886-1873). Proche des peintres expressionnistes, ses amis Emil Nolde, E. L. Kirchner, Wigman professait la primauté de l'ego comme source de l'inspiration. Laban, lui, adoptait un parti plus analytique, fondant sur le mouvement son étude des systèmes de pensée et de création.
C'est donc sous l'impulsion de Rudolf von Laban et de son disciple Kurt Jooss (1901-1979) qu'est né « le théâtre dansé », conçu comme principe esthétique et processus de création. Le contexte de l'époque dominé par les avant-gardes dans tous les champs de la création, poussait à rechercher de nouvelles formes. À côté des gens de théâtre à proprement parler (Meyerhold, Piscator, Brecht, entre autres), Adolphe Appia avait déjà donné l'exemple d'une scène théâtrale où s'intégrait la rythmique d'Émile Jaques-Dalcroze.
Un corps dramaturge
Après avoir tâté de la photographie et de l'art dramatique, Kurt Jooss rencontre Rudolf von Laban, autour de 1920. Comme il l'explique, « Laban nous a fait un grand cadeau : comprendre toute sorte de mouvement dans une vision large de la complexité motrice totale ». Dès ses premiers écrits (1920), Laban avait proposé au danseur des outils pour développer un large répertoire de mouvements, acquérir une autonomie et un pouvoir individuel d'expression. Kurt Jooss reprendra ces notions. Avec son collaborateur, Sigurd Leeder, il inaugure le Tanztheater en tant que pratique spécifique.
Le Tanztheater utilise pour véhiculer le sens les propriétés matérielles du mouvement : « Le médium de la danse est le corps humain doté du pouvoir de véhiculer des idées à l'intérieur du mouvement » (R. von Laban). Tout comme le « gestus » de Brecht, le théâtre dansé de Jooss et Leeder appelle une lecture critique et historique des matières gestuelles. En développant une méthode spécifique, ceux-ci cherchent à « disposer d'une échelle complète de tous les sentiments humains dans toutes les phases de leur expression sans limite en relation avec la complexité de la société moderne » (Odette Aslan). Mais, contrairement à l'Austrucktanz (la danse d'expression ou expressionniste), le but poursuivi est ici une interprétation investie, individualisée certes, mais objective, proche en fait de la distanciation brechtienne La danse classique (adoptée contre l'avis de Leeder) sera un outil efficace de dépersonnalisation.
Les premières œuvres de Jooss et Leeder mettent déjà en scène la comédie humaine, les danses sociales avec costumes de ville, robes et talons hauts qu'on retrouvera chez Pina Bausch.[...]
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Écrit par
- Laurence LOUPPE : artiste chorégraphique, historienne de la danse, responsable de la formation supérieure en culture chorégraphique (Cefedem Sud, Aubagne)
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