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THÉÂTRE DANSÉ

Une chorégraphie du discontinu

Avant d'être contraints à l'exil lors de l'avènement du IIIe Reich en raison de la présence de danseurs juifs dans leur compagnie, Jooss et Leeder avaient fondé, dans la cadre de la Folkwangschule d'Essen, un studio d'enseignement et d'expérimentation. Fermé pendant la guerre, il rouvrira en 1949 sous l'impulsion de Jooss, et attirera presque toutes les futures personnalités du théâtre dansé par un enseignement multiple de toutes sortes de disciplines artistiques et somatiques.

Toutefois, c'est bien après le travail artistique de Jooss, que le Tanztheater allait trouver sa pleine visibilité sur la scène internationale. Pina Bausch, pourtant disciple de Jooss, s'en est même attribué la maternité ! Une visibilité due certes aux fortes personnalités qu'on réunit habituellement sous l'étendard du Tänztheater : Pina Bausch d'abord, la seule à avoir imposé la danse contemporaine dans une maison d'opéra, à Wuppertal. Mais aussi Johan Kresnik, orienté vers la contestation sociale (Familiendialog, 1980), Gherard Bohner, qui revisite le travail d'Oskar Schlemmer (Abstrakte Tänze-Bauhaustänze, 1986), Susanne Linke, qui met en perspective l'« absolute dance » de Wigman à travers des soli (Wandlung, 1978, Im Baden Wannen, 1980) ou Reinhilde Hoffmann qui brosse de large fresques bruissantes d'étoffes où s'échangent tous les rôles (Callas, 1983 ; Könige und Köningen, 1997).

À travers tous ces artistes, le Tanztheater change totalement d'esthétique D'une façon générale, l'heure est à la valorisation du discontinu (on le voit au théâtre avec Beckett, plus tard Heiner Müller) ; on abandonne le récit linéaire – celui de Jooss dans ses « livrets ». Des États-Unis proviennent de nouvelles influences : pratique aléatoire de Merce Cunningham, expériences radicales de la « Post-modern Dance ». Odette Aslan en a relevé quelques résonances dans le Tanztheater de Bausch, que l'on peut résumer comme suit :

– pas d'argument fixé d'avance : l'improvisation comme « recherche » construit la pièce (il s'agit de trouver les attitudes propres à certaines situations sociales) ;

– le mélange des matériaux, gestes, expression parlée ;

– l'absence de hiérarchie : la culture populaire est intégrée à l'œuvre (musique de variété, revue de music-hall) ;

– l'adoption des gestes quotidiens ou psychotiques, répétés, ressassés ;

– le rapport masculinité-féminité comme lieu de conflits, et parfois, d'échange des signes.

Enfin, Odette Aslan détecte chez Pina Bausch deux démarches croisées : le « collage » (pratique picturale surtout dadaïste) et le « montage », une technique cinématographique qui a influencé tous les arts jusqu'à nos jours. À partir de ces éléments, Pina Bausch inaugure en 1980 la notion de Stück (pièce), qui se poursuit avec Walzer, (1982), Nelken (ibid.), etc., qui la fait passer des chorégraphies traditionnelles à partir d'une partition « pré-établie » (Le Sacre du printemps, 1975) à des collages musicaux. On notera également l'importance des scénographies : lieux clos pour Café Muller (1978), ou sols jonchés d'éléments naturels (fleurs, sable, eau). Les interprètes (exceptionnels) de Pina Bausch dialoguent avec le spectateur, le questionnent, cherchent à partager une expérience commune.

La marque du théâtre dansé s'imprima d'abord en France avec la venue en France de Hans Weidt, disciple de Jooss, qui travailla avec Françoise et Dominique Dupuy. Elle s'est trouvée renforcée avec l'influence de Pina Bausch sur François Verret et sur bien d'autres. En Belgique, la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker s'en réclame. Mais ce qui est recherché dès Rosas danst Rosas (1983),[...]

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Écrit par

  • : artiste chorégraphique, historienne de la danse, responsable de la formation supérieure en culture chorégraphique (Cefedem Sud, Aubagne)

Classification

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