BOULEVARD THÉÂTRE DE
Thèmes dominants
L'argent, le bourgeois, le parvenu
Le Boulevard ne pouvait ignorer l'argent ; il lui était soumis. Il se devait aussi de faire une large place, sur sa scène, aux commerçants, petits ou gros, aux bourgeois, aux rentiers : ils étaient ses clients...
Le petit commerçant, on l'y trouve installé dès l'origine. Déjà, les théâtres de la foire mettaient volontiers en scène des boutiquiers en leurs échoppes. En 1767, une farce parodique de Taconet obtient un certain succès au théâtre de Nicolet. C'est La Mort du bœuf gras, où l'on entend boucher, bouchère, commis et chevillards s'exprimer en alexandrins. En 1780, aux Variétés-Amusantes, l'un des plus grands succès de l'époque est une petite parade, un peu simplette, de Dorvigny : Janot, ou Les battus paient l'amende, qui met en scène deux commerçants et leur commis, Janot, qui a malencontreusement perdu les quelques sous qu'on lui a confiés. Tout cela n'est pas encore bien sérieux. Mais, en 1796, c'est le triomphe, au théâtre de l'Émulation, de Madame Angot, ou la Poissarde parvenue, de Maillot (quatre-vingts ans plus tard, Lecocq en fera une opérette).
Pour la première fois, le Boulevard s'intéresse vraiment à l'argent et à ses conséquences sociales – dans un style encore très fruste, très grossier – et Mme Angot, jouée en travesti par le comédien Corsse, installe sur scène un personnage clé de ce théâtre, le nouveau riche, le parvenu, qui connaîtra une très nombreuse descendance.
Dès lors, le bourgeois de théâtre s'enrichit rapidement. On n'en est plus aux quelques sous perdus par Janot. Chez Eugène Scribe, sous la Restauration, il étale, rehaussé de patronymes aristocratiques, son opulence dans les salons dorés de ses belles propriétés. Dans ce théâtre, presque toujours, « la scène se passe au château »...
Et l'argent, parfois très explicitement, règne en maître sur le théâtre. C'est le manque d'argent qui empêche les mariages heureux, à moins que, par un renversement assez hypocrite, ce soit, comme dans Ceinture dorée d' Émile Augier, le trop d'argent qui fait obstacle au bonheur. C'est d'argent que parleront également tour à tour Dumas fils, Becque, Hervieu, Lavedan, Donnay, Mirbeau, Bataille, Bernstein et Bourdet.
Labiche en fait l'un des plus puissants ressorts de son théâtre. Qu'est-ce qui fait courir les personnages de Labiche ? Une dot bien ronde ou un bel héritage, une cagnotte, trente-sept sous ou trente millions (Monsieur Montaudoin ou Gladiator). C'est l'intérêt, c'est l'argent qui les mène, de Maman Sabouleux – le paysan déguisé en nourrice – à L'Avare en gants jaunes et à ce Criqueville de La Chasse aux corbeaux, qui, ruiné, renonce à se suicider pour reconquérir sa fortune à force de flatteries.
Le personnage type de Labiche, c'est le commerçant retiré, le rentier, le nouveau riche, qui, comme dans La Poudre aux yeux, peut se présenter ainsi au public : « Robert, marchand de bois venu à Paris avec douze sous dans sa poche, donne cent mille francs de dot à son neveu... »
Cette fierté, cette assurance du parvenu est nouvelle au théâtre. Mme Angot était un personnage grotesque ; et si elle eut tant de succès, c'est que son auteur y vilipendait les nouveaux riches. Soixante ans plus tard, Augier, auteur habile et ambigu, marque la transition. Son M. Poirier, son Roussel (Ceinture dorée, 1854) ont encore quelque mauvaise conscience. Leur argent sent encore un peu mauvais, mais ils revendiquent une richesse qu'ils ne doivent qu'à eux-mêmes et on sent que le public leur est déjà acquis.
Quelques années plus tard, le parvenu a envahi tout le théâtre de boulevard. Mais, parfaitement intégré, il ne se remarque plus. Sous les oripeaux pseudo-historiques de Sardou, derrière[...]
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Écrit par
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