THÉÂTRE DES NATIONS
Dans la période de reconstruction qui suivit la Seconde Guerre mondiale, la nécessité apparut à certains d'être plus que jamais solidaires du reste du monde : la connaissance des cultures étrangères était une des conditions de cette solidarité. Aman Maistre-Julien et Claude Planson eurent alors l'idée d'accueillir à Paris des troupes et des spectacles étrangers, et ils obtinrent l'aide financière de l'UNESCO, de l'Institut international du théâtre ainsi que des ambassades concernées. Le premier festival international de Paris était né (1954). Deux ans plus tard, il devenait le théâtre des Nations.
Au théâtre Sarah-Bernhardt viennent d'abord le Piccolo Teatro avec El Nost Milan (1962) de Carlo Bertolazzi, mis en scène par Giorgio Strehler, mais aussi le Berliner Ensemble et Brecht : c'est alors la révélation de Mère Courage (1954), du Cercle de craie caucasien (1955), de La Vie deGalilée, de La Résistible Ascension d’Arturo Ui (1957) et, enfin, de La Mère (1960). On découvre également la tradition du théâtre d'Art de Moscou, l'opéra de Pékin, les acteurs d’Ingmar Bergman, Frederic March, venu de Broadway, mais aussi les cérémonies païennes des danseurs africains et le cérémoniel sophistiqué des nō japonais. L’organisation du Berliner Ensemble, la pureté de ses éclairages, le jeu austère et ironique de ses comédiens ont influencé toute une génération engagée dans le théâtre populaire. Roger Planchon, pour sa part, ne manquera jamais de rappeler ce qu'il doit au réalisme poétique et nostalgique de El Nost Milan.
L’Angleterre anticonformiste envoie Joan Littlewood et sa revue politique Ah Dieu ! que la guerre est jolie !, qui fera naître une série de spectacles traitant l’actualité et l’histoire, à l’aide de citations, de chansons et de sketches burlesques. Peter Brook, lui, nous fait redécouvrir Shakespeare et sa sauvagerie sardonique, avec Laurence Olivier dans le délirant Titus Andronicus (1957).
Les saisons du théâtre des Nations, devenues des événements mondiaux, s'ouvrent alors aux spectacles lyriques et à la danse. Le théâtre des Nations n'a toutefois pas les moyens de produire ou d'acheter les spectacles, et dépend de plus en plus du bon vouloir des ambassades. De plus, il n'y a pas, à chaque saison, une révélation analogue à celles de Brecht, de Strehler ou de Bergman. L'exotisme lui-même n'est pas inépuisable, malgré le renouveau qu'apportera, avec ses disciples européens, au théâtre des Nations l'underground new-yorkais et sa contestation de Broadway ou de la guerre du Vietnam.
Nommé directeur de l'Odéon en 1959, Jean-Louis Barrault accueille de grandes manifestations comme Barouf à Chioggia(1966) de Goldoni ou Les Géants de la montagne(1967) de Pirandello, toutes deux mises en scène par Strehler. Avec le retour de Peter Brook, Shakespeare devient notre contemporain : Paul Scofield, dans l'univers dépouillé du Roi Lear(1963), servira de référence à toutes les interprétations modernes – et beckettiennes – du théâtre élisabéthain.
D'autres salles comme le Récamier, le Vieux-Colombier ou le Lutèce accueillent aussi le théâtre des Nations. Paris y découvre le Living Theatre avec son spectacle The Connection (1961). Choc comparable et opposé à celui de Mère Courage : aucune intrigue, si ce n'est l'attente par des drogués de leur fournisseur, mais la mise en pratique des conceptions d'Artaud par l'énergie d'un jeu poussé jusqu'à la transe.
À Nancy, Jack Lang crée le festival mondial du théâtre, en 1963. Consacré primitivement au théâtre universitaire, ce festival donne lieu à un concours dont les spectacles primés sont invités à Paris par Jean-Louis Barrault qui, de 1966 à 1968, prend la direction du théâtre des Nations. Par ailleurs, Jerzy Grotowski donne[...]
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Écrit par
- Colette GODARD
: journaliste et critique dramatique au journal
Le Monde
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