ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE
Les « university wits »
On désigne sous ce terme un groupe d'écrivains, dramaturges, conteurs et pamphlétaires, issus des universités, qui mirent leur culture au service de l'art populaire du théâtre au lieu de se faire prêtres ou professeurs. Ces intellectuels, ardemment désireux d'accroître le prestige de la poésie et de propager leurs idées, furent les protagonistes d'un théâtre d'avant-garde et donnèrent en quelque sorte au théâtre populaire ses lettres de noblesse. Leur période de production (1580 env.-1595 env.) est une féconde période de germination qui annonce les grandes œuvres à venir.
John Lyly (d'Oxford) est le seul parmi eux à être poète de cour. Avec son Euphues (1578), il définit et propose une préciosité nouvelle, dont il utilise les subtilités dans ses pièces mythologiques, à l'action traînante et aux personnages falots, mais parés des prestiges de la poésie. Ainsi Sapho and Phao (1584) ou Endymion (1588), qui conte les amours de Cynthia, déesse de la Lune, avec Endymion, qu'elle tire avec un baiser de son profond sommeil. Lyly donne à l'expression poétique un rôle prééminent. Son exemple ne sera pas perdu.
George Peele (1556-1596) et Thomas Lodge (1557-1625) sortent aussi d'Oxford. Peele est un pur poète qui émaille de chansons exquises des pièces inspirées de mythes classiques (The Arraignment of Paris, 1581-1584), élégante pastorale, de l'Ancien Testament (David and Bethsabe, 1594), de l'histoire nationale (Edward I, 1593), ou du folklore féerique (The Old Wives' Tale, 1594 env.), où une histoire ébauchée par la femme d'un bûcheron prend corps tout à coup et devient une pièce. De Lodge (auteur d'un conte romanesque, Rosalynde, 1590, dans le style de Lyly, d'où Shakespeare tirera Comme il vous plaira, 1559), on ne connaît qu'une tragédie historique, The Wounds of Civil War (1594 env.), première pièce sur l'histoire romaine traitant de la guerre civile entre Marius et Sylla.
Robert Greene (1558 env.-1592), Thomas Nashe (1567-1601) et Christopher Marlowe (1564-1593) sortent, eux, de Cambridge. Greene et Nashe sont plus satiristes qu'hommes de théâtre. Le premier est célèbre par sa vie dévoyée et l'attaque qu'il lança contre Shakespeare dans sa confession rédigée avant de mourir. Il écrivit des contes, s'illustra dans le pamphlet et composa quelques pièces : Alphonsus, roi d'Aragon (1587), où l'imitation du Tamerlan de Marlowe est poussée jusqu'à la parodie ; Friar Bacon and Friar Bungay (1589), où l'amour se mêle à la magie, au patriotisme, à la farce ; James IV (1591), drame historique tragi-comique ; Orlando Furioso (1591), imité de l'Arioste et assez marlowien ; et, enfin, George-a-Greene (1592 env.), qui nous conte les mirobolants exploits d'un chasseur de bétail sur un fond d'histoire populaire. Nashe, comme Greene, est un touche-à-tout. Célèbre par son roman picaresque, Jack Wilton, le voyageur malheureux (1594), il porta à la scène une pièce séditieuse, The Isle of Dogs (1597), qui fit grand bruit et lui valut la prison, et une comédie lyrique charmante, Summer's Last Will (1592 env.), que l'on relit avec plaisir.
Avec Christopher Marlowe et Thomas Kyd, nous entrons dans la grande période. Si la personnalité de Kyd (qui n'est d'aucune université) paraît moins provocante que celle de Marlowe, il n'en est pas moins l'auteur d'une pièce retentissante, The Spanish Tragedy (1587-1588), adaptation exemplaire du style sénéquéen. Par son sujet, la vengeance, sa rhétorique vigoureuse coulée dans un vers martelé, ses personnages typifiés, ses péripéties à couper le souffle et ses accessoires de mélodrame (fantôme réclamant vengeance, noble vieillard frappé de folie, amants persécutés, meurtres, pendaisons, suicide, pantomime[...]
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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Médias
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