ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE
Quelques genres littéraires
La comédie des humeurs
Alors que la comédie romanesque va briller de tout son éclat avec Shakespeare, un autre genre comique, nourri de réalités plus terre à terre, d'observation impitoyable et plus soucieuse de fustiger que d'amuser, s'installe solidement sur la scène grâce à la plume précise et mordante de Ben Jonson. Ce fils de maçon est le grand rival de Shakespeare par l'ampleur et la diversité de son œuvre, la foi en son génie et en sa mission. La comédie, il la veut « le miroir des mœurs, l'image de la vérité ». Son observation se fonde sur la vieille psychologie qui assigne aux quatre humeurs fondamentales (sang, phlegme, bile jaune et bile noire) un rôle capital dans le tempérament. Ainsi l'excès d'une humeur provoque les anomalies de caractère qui rendent si difficile le commerce des humains entre eux. Les personnages de Ben Jonson sont tous des pervers, des coquins ou des fous, véritables caricatures de l'humanité. L'objet de la comédie est la purgation de ces vices par leur exposition sans pitié. Volpone(1607) est un modèle du genre : la rapacité, la fourberie, la luxure sont les répugnants ressorts d'une action brillante et bien menée. Ben Jonson, d'ailleurs, est maître de l'intrigue, comme en témoigne l'extraordinaire structure en spirale de L'Alchimiste (1610), véritable course à relais d'escrocs et de dupes. Maître de la truculence satirique dans Bartholomew Fair (La Foire de la Saint-Barthélemy, 1614) et du sarcasme antibourgeois dans The Silent Woman (La Femme silencieuse, 1609), Ben Jonson démasque le vice avec férocité ; il tend vers la comédie de mœurs d'un âge truculent et baroque, qui aime les sensations fortes, a le courage de ses ambitions et de ses vices et ne craint pas de les voir mettre au pilori.
La comédie benjonsonienne tourne à la satire grinçante chez John Marston, auteur aussi de tragédies sanglantes, qui vitupère avec lyrisme (The Scourge of Villany, 1598) et fait de son Malcontent (1604) le héros pessimiste et grincheux d'une contestation enveloppée d'imposture. Cette comédie sardonique et tendue, brutale et disjointe comme un interlude, sonne parfois à la façon d'une moralité tragi-comique. Marston prit une part active à la « guerre des théâtres », se querella avec Ben Jonson et, finalement, entra dans les ordres, toute virulence de moraliste épuisée.
La comédie bourgeoise
La comédie bourgeoise est appelée city comedy en anglais, parce qu'elle met en scène, comme la comédie benjonsonienne d'ailleurs, le peuple de la Cité de Londres et qu'elle constitue, mise à part sa valeur littéraire, variable certes mais jamais négligeable, un copieux ensemble de documents sociologiques. Toutes les classes de la société y sont représentées, les artisans, les apprentis, les soldats comme les bourgeois enrichis et les canailles de tout poil. C'est vraiment un « théâtre en cent actes divers », où passent d'innombrables personnages, avec leurs vices, leurs passions, leurs querelles et leurs attendrissements. On ne s'étonne pas que les dramaturges aient fait souvent œuvre collective, tant les thèmes et les créatures qui les animent sont tirés d'un fonds commun. Mais chacun a sa dominante, ses préférences et ses tonalités.
Thomas Dekker (1570 env.-1641 env.), très prolifique auteur, aime les marchands de la Cité, les artisans, les apprentis, les femmes du peuple, qui ne sont pas toujours des courtisanes. Ses pièces sont souvent bâclées (il est fournisseur pressé), mais sa bonne humeur éclate en tout lieu. Il fait d'un cordonnier un lord-maire de la Cité (The Shoemaker's Holiday, 1599) – le fait est historique –, et son Honnête Prostituée (1604), Bellafront (le titre et le nom sont significatifs), une fois sauvée du péché, malgré les tentations[...]
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
Classification
Médias
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