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THÉÂTRE OCCIDENTAL Histoire

La chrétienté médiévale

En même temps que les structures politiques et sociales du monde antique, les Grandes Invasions balaient un trésor millénaire de culture. Cependant, les brassages de populations qui s'en sont suivis ont produit tôt ou tard des conditions favorables à la diffusion du message chrétien. C'est dans les régions réputées « barbares », Germanie, Pays-Bas, îles Britanniques, Gaule incomplètement romanisée, que s'élaboreront de nouvelles normes de civilisation, tandis que les pays riverains de la Méditerranée dépensent leur vitalité intellectuelle en contestation des dogmes récemment définis. Par ses missionnaires, ses ordres monastiques, ses abbayes, ses écoles, l'Église a aidé la société civile à s'organiser, suppléant en bien des cas à la carence de l'autorité royale, tempérant la brutalité des féodaux, inspirant l'idéal de la chevalerie, stimulant l'activité économique, multipliant les chantiers et les ateliers de création artistique.

La cité terrestre est comme suspendue à la cité céleste : le Verbe s'est fait chair pour arracher l'humanité à son exil métaphysique. La maison-Dieu ouvre aux fidèles son livre d'images : l'architecture, les fresques, les chapiteaux sculptés, les vitraux encadrent, comme les enluminures d'un missel, le texte de l'Écriture. La liturgie dramatise le mystère sacré ; elle le « représente ». Il suffira d'accentuer le caractère figuratif du rite pour donner naissance au drame liturgique. Autour de l'an mille, les tropes font leur apparition. C'est, à l'office de Pâques, le dialogue des saintes femmes et de l'ange (un enfant en robe blanche debout sur un podium dressé au milieu du chœur) :

Qui cherchez-vous dans le sépulcre ? – Jésus de Nazareth. – Il n'est plus ici. Il est ressuscité...,

ou, à la veille de Noël, sur le jubé, le défilé des prophètes annonçant la venue du Sauveur.

La langue liturgique, le latin, retenait à l'intérieur du saint lieu ces premières ébauches de dramatisation. Cependant, aux carrefours, sur les champs de foire, camelots, vendeurs de drogues, arracheurs de dents, acrobates, escamoteurs, montreurs de bêtes curieuses ameutent les badauds par leurs boniments emphatiques (tel le Dit de l'herberie, de Rutebeuf), comme le font de leur côté les « jongleurs », qui sont des conteurs ambulants. Ce théâtre de la rue coule dans un moule littéraire le parler commun. Les étudiants contribuent à cette promotion de la langue, dont l'art dramatique profita : rompus à la dispute scolastique, ils ont aussi le sens et le goût de la parodie, et le « sermon joyeux » en France, les juegos por escarnios en Espagne sont des produits de cette verve satirique. Dès la fin du xiie siècle, avec l'Auto de los Reyes Magos comme avec le Jeu d'Adam et Ève, composé en français par un moine anglo-normand, le drame sacré s'émancipe du latin et se déploie sur le parvis de l'église, au grand jour de la place publique.

La bourgeoisie urbaine, en particulier dans les riches communes des Flandres, qui jouissent de leurs franchises, fait valoir, en face de l'héroïsme mystique célébré dans les chansons de geste, son propre idéal d'ordre pacifique, de labeur productif et d'aisance de la vie. Clercs et magistrats municipaux mettent en commun leurs ressources pour donner aux fêtes, tant civiles que religieuses, un éclat qui rehausse le prestige de la cité. Le clergé garde la haute main sur les représentations ; c'est lui qui dirige le travail des nombreux corps de métiers, groupés en confréries, qui en construisent les décors et les machines ; il règle la mise en scène, l'exécution musicale, et peut-être y tient-il certains rôles. Qu'il ait l'esprit large, la «   fête des fous », cette mascarade de [...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres, maître assistant honoraire à la Sorbonne

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Henrik Ibsen - crédits : Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

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