THÉÂTRE OCCIDENTAL Histoire
Du siècle des Lumières à l'ère industrielle
Dans toute l'Europe, le théâtre compte désormais parmi les lieux d'élection où se célèbrent les rites de l'esprit de société. Néanmoins, en ce temps où le mouvement des idées commande l'évolution conjuguée des mœurs et des formes littéraires, la création dramatique reste en retrait par rapport, en particulier, à l'essor du roman.
En France, le fait caractéristique est la décomposition de la tragédie. La réduction du tragique au pathétique se consomme avec Crébillon, Voltaire et leurs épigones. Elle était inévitable dès lors que la raison émancipée exorcisait la « superstition », revendiquait les droits de la nature, faisait dépendre le bonheur personnel d'une répartition plus équitable du bien-être et des libertés. C'est l'opéra, surtout après 1750, qui saura répondre aux aspirations nouvelles de la sensibilité et de l'imagination.
La comédie de mœurs, brillante et cynique dans l'Angleterre de la Restauration, puis, en France, de Regnard à Lesage, se laisse ensuite entraîner dans le courant de sentimentalité édifiante qui, à Londres, reflète le sérieux de la bourgeoisie puritaine, et, à Paris, la réaction contre l'immoralisme de cour. La vogue de la « comédie larmoyante » touchera jusqu'à Voltaire, jaloux du succès de Nivelle de La Chaussée. Marivaux lui-même sera tenté d'infléchir dans ce sens sa poétique du cœur. La troupe italienne qui lui avait permis de l'exprimer était autorisée, depuis 1718, à jouer en français. Les cabrioles et les balourdises d'Arlequin, son franc-parler d'ingénu divertissaient sans trop alarmer la censure. Quant aux parades de la foire, elles entretenaient dans le public, le goût de l'espièglerie frondeuse. Néanmoins, les temps ne se prêtaient guère à l'exercice de la « liberté de blâmer ». Quand Figaro s'en prévalut, les jours de l'absolutisme étaient comptés.
Autour de 1740, des pièces de Lillo et de Moore, qui, exploitant une veine ouverte par les Élisabéthains, tiraient un parti émouvant de la peinture de la vie privée dans les classes moyennes et le peuple, avaient été traduites et jouées à Paris avec succès. Diderot en prit texte pour s'attaquer à l'académisme de la tragédie. Il préconisa un drame en prose qui s'attacherait à l'étude des « conditions », c'est-à-dire des conflits engendrés au sein des familles par les préjugés de caste. La théorie, dans ce projet, informant la création, il était inévitable que le pathos moralisateur faussât l'expression de la vérité morale.
Bientôt la vague préromantique fit dériver ce « genre sérieux » vers le mélodrame, où l'exaltation sensible et vertueuse mise à la mode par Richardson, Rousseau et Goethe s'allie aux fantasmagories du « roman noir », animant une dramaturgie candide, mais qui parlait au cœur.
La semence du classicisme français n'avait produit, outre-Rhin, que des fruits malingres. Lessing, le premier, dénonça l'artifice d'une culture sans racines dans le génie germanique. Wieland venait de procurer une version de Shakespeare en allemand. Ce fut une illumination. En même temps, à Hambourg, à Weimar, à Vienne, à Berlin, à Königsberg, la vie du théâtre commence à s'affranchir de la tutelle des princes. Herder proclame que l'art dramatique a pour mission d'éveiller la nation à la conscience de sa personnalité historique. Le titre d'une pièce de Klinger : Sturm und Drang (1776), est passé dans l'usage pour désigner cette période orageuse. August von Schlegel, dans son Cours de littérature dramatique (1809), recommande le mélange des tons, la libre disposition des temps et des lieux (pour rendre à la scène l'ouverture de champ de l'épopée) et la reviviscence du[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Robert PIGNARRE : agrégé de lettres, maître assistant honoraire à la Sorbonne
Classification
Média
Autres références
-
LA PARABOLE OU L'ENFANCE DU THÉÂTRE (J.-P. Sarrazac)
- Écrit par Hélène KUNTZ
- 1 002 mots
La Parabole, ou l'Enfance du théâtre (éd. Circé, Belval, 2002) convie le lecteur à une réflexion ambitieuse sur le théâtre du xxe siècle, et en particulier sur l'œuvre de ces grands parabolistes que sont Claudel et Brecht, mais aussi Kafka, dont Jean-Pierre Sarrazac analyse le théâtre «...
-
ACTEUR
- Écrit par Dominique PAQUET
- 6 815 mots
- 2 médias
Si l' acteur force si souvent le respect ou l'exécration, cela signifie bien qu'il travaille avec les outils les plus précieux de l'humanité en l'homme : le corps et la psyché. Qu'il engendre, par un jeu de métamorphoses, à la fois la familiarité et l'étrangeté, qu'il réfracte l'envers et l'avers de...
-
ALLEMAND THÉÂTRE
- Écrit par Philippe IVERNEL
- 8 394 mots
- 2 médias
Alors que l'Allemagne a refait son unité par intégration de l'ex-RDA à la RFA, il y a lieu de revoir l'évolution séparée des théâtres ouest-allemand et est-allemand depuis 1945, afin de mieux apprécier leur divergence passée ainsi que leur conjonction présente. Quel fonds commun « germano-allemand...
-
ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
- 28 170 mots
- 30 médias
Le goût populaire avait conservé au théâtre anglais l'aspect moyenâgeux de successions de tableaux, comme dans les mystery plays, de sorte que les unités de temps, de lieu et d'action ne purent pas s'acclimater en Angleterre. Pour différents que soient les auteurs dramatiques qui élevèrent... -
ANTIGONE, Jean Anouilh - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 534 mots
- 1 média
Antigone est une pièce en un acte de Jean Anouilh (1910-1987), directement inspirée des deux tragédies de Sophocle consacrées à la fille d'Œdipe : Œdipe à Colone (402-401 av. J.-C.) et surtout Antigone (442 av. J.-C.). À sa création, le 4 février 1944 au théâtre de l'Atelier à...
- Afficher les 68 références