THÉÂTRE OCCIDENTAL L'interprétation des classiques
Faut-il se plaindre du fait que la scène théâtrale française, à partir des années 1980, se soit tournée vers ce qu'il est convenu d'appeler le « grand répertoire » ? Faut-il considérer, comme le faisait Jean Jourdheuil (Libération, 29 et 30 mai 1987), que les théâtres actuels sont avant tout « immobiles » et qu'ils répètent plus qu'ils n'innovent ?
Outre le fait que les pièces contemporaines apparaissent fort souvent sur la scène et que des théâtres comme la Colline à Paris soient assujettis au répertoire moderne, il semble aussi évident que le théâtre ait tout à gagner à relire et représenter les textes célèbres, « classiques », oubliés ou négligés des xvie, xviie et xviiie siècles, quitte à sérieusement les dépoussiérer pour en saisir toute l'ampleur. Et ce mouvement, engagé depuis le milieu du xxe siècle, est principalement marqué par l'exigence historique, théorique, par l'engagement personnel et par la volonté de découvrir et de comprendre le passé, donc le présent.
Souvent gages de salut en termes de public, les pièces classiques sont donc sans cesse « revisitées » par les metteurs en scène contemporains et certains textes anciens réapparaissent sur scène à la grande surprise, et souvent pour le plus grand plaisir, des spectateurs modernes. C'est là que l'interprétation, terme à la fois critique et pratique, prend tout son sens.
Mémoire et répétition
Le théâtre n'échappe pas à la répétition, comme la société qu'il figure et qu'il contient. Pour survivre, il doit maintenant s'aider de son histoire, et la mettre en débat. Là est peut-être tout l'intérêt de la période comprise entre 1980 et 2000, qui s'efforce, dans le meilleur des cas, de dépasser l'immobilisme que signalait Jean Jourdheuil. Si la survie du théâtre, dans ces années-là, est largement liée à son établissement officiel, elle suppose par là même qu'on la représente. À la volonté de disparition, aux risques de l'éphémère, à l'idéal du réel qui avaient marqué les années 1970, a succédé la nécessité pratique d'être là, bien ancré dans une ville ou dans une banlieue. Et cette nécessité doit être dite, non seulement pour que l'édifice résiste et reçoive quelque argent, pour que tous en soient persuadés, mais aussi pour qu'une véritable réflexion puisse s'instaurer. En d'autres termes, le théâtre, de nos jours, est appelé à parler de lui-même, à justifier sa présence, à se donner en spectacle, à se tourner lui-même en dérision, et du même coup à se mettre en question. D'où sa reconcentration sur son lieu propre. Le théâtre, alors, affiche ses emblèmes, se recommande du rideau, de la fosse, du cadre, et, à partir de ces contraintes, joue, perturbe, détourne et décale les sens tout en restant dans son lieu de mémoire. Le décor et les costumes accompagnent cette évolution en se donnant simultanément comme vrais et faux, vrai sable et faux rivage, fausse plage et véritable vague, comme on l'a vu dans la mise en scène de Phèdre par Luc Bondy ou dans celle d'Iphigénie en Tauride par Klaus Michael Grüber.
Le théâtre se meut, mais, semble souvent emprisonné à l'intérieur d'une aire de conventions. Il rejoue la première scène du Mariage de Figaro, où l'on expose une histoire en même temps qu'on calcule exactement l'espace de jeu. Le théâtre se dit et se calcule, en cela, il s'expose, en approfondissant obstinément les définitions de son exercice et de son identité. Dès lors, comment s'étonner que les théâtres mettent en scène des textes de répertoire et qu'ils répètent les mêmes pièces en explorant régulièrement les sens et les ambiguïtés que les metteurs en scène s'efforcent de figurer ? Le théâtre se relit, se rejoue, se contredit et propose d'autres sens à l'intérieur[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
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