THÉÂTRE OCCIDENTAL L'interprétation des classiques
La fin du combat entre les Anciens et les Modernes
À propos de l'opposition entre ceux qui mettraient en scène des textes contemporains et ceux qui ne le feraient point, il faut bien dire qu'actuellement elle a fort peu lieu d'être. La plupart des metteurs en scène, en effet, montrent autant d'intérêt pour le répertoire classique que pour le répertoire contemporain, ne serait-ce que pour des raisons de carrière et d'intérêt bien compris. L'entreprise théâtrale, si longuement marquée par une conduite politique, est de plus en plus affaire de technique et de travail de précision, quel que soit le texte monté, quelle que soit la « manière » du spectacle. Si néanmoins certains théâtres se spécialisent, plus ou moins, dans tel ou tel domaine – la Comédie-Française étant un cas à part –, ce choix fait souvent partie de leur charge – pour Théâtre Ouvert, par exemple, qui a pour vocation la lecture et la « découverte » d'écrivains contemporains –, ou dépend de leur aire culturelle – le théâtre de la Colline ou le Théâtre Gérard-Philipe montent principalement des pièces contemporaines, sans pour autant renoncer au répertoire – si Brecht et Molière en font bien partie. Il reste que les mises en scène des textes dits « classiques » renvoient bien souvent aux questions que posent les textes contemporains et inversement : des questions essentiellement esthétiques, ou posées de l'intérieur de la profession, comme s'il y avait une unification des questions exposées, comme si, aussi, le théâtre renvoyait maintenant principalement à lui-même. Le temps des affrontements entre les partisans du texte contemporain et ceux du texte de tradition semble donc révolu.
Dans cette optique, l'attention portée au jeu de l'acteur et à la pratique même de l'acte théâtral devient centrale, au point que tout le monde du théâtre se retrouve autour de la praxis, quitte à partager sans états d'âme un conformisme idéologique allant de soi. La représentation d'Elvire Jouvet 40, mise en scène par Brigitte Jaques en 1986, au théâtre de l'Athénée est, à cet égard, significative. À partir des notes et des textes de Jouvet, la pièce montre comment l'acteur fonde son identité sur le jeu qu'il entretient avec d'une part son personnage (l'Elvire de Dom Juan) et d'autre part « son » metteur en scène, ou plutôt son pédagogue (Jouvet). La langue, la diction, le corps, l'exécution, la pratique en un mot, deviennent alors les grandes questions, plus que leur rôle dans la cité. Le théâtre, après le long combat du metteur en scène pour sa légitimation, est devenu autonome et s'est constitué en champ, avec son territoire, ses enjeux propres et son enseignement reconnu. À ceci près que Brigitte Jaques – le titre de la pièce et la mention d'une date précise, 1940, en témoignent – a bien conscience que le théâtre n'est pas seulement une exécution dramaturgique intérieure à une discipline, et que jouer Elvire dans le froid, durant l'hiver 1940, peut être important pour le corps, la diction, et l'interprétation qu'on peut faire du Dom Juan de Molière.
Sous l'apparence d'un consensus sur le rôle politique du théâtre et d'une interrogation sur sa technique, on assiste néanmoins, ces derniers temps, à l'affleurement de quelques urgences politiques et sociales. Le théâtre des années 1960, mené par Roger Planchon, s'était chargé de relire les « classiques » pour les arracher, comme le dit Bernard Dort, à une conception normative, pour prendre en compte « ce qu'il peut y avoir de contradictoire dans leur texte même », mettre « l'accent sur le caractère hétérogène du texte classique lui-même », enfin donner aux textes du répertoire un impact dans la société présente, sans rien abandonner des significations[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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Média
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