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THÉÂTRE OCCIDENTAL L'interprétation des classiques

Le retour du baroque et l'avènement d'un autre classicisme

Depuis près de trente ans, la période baroque (le « premier » xviie siècle) a bénéficié d'un regain d'intérêt. Elle est même devenue centrale. Alors que la musique de scène (ballets, opéras, tragédies lyriques) était mieux connue, notamment grâce au travail de William Christie et des Arts florissants, et que les musiciens et les instrumentistes eux-mêmes commençaient à se nommer les « baroqueux », la scène française prit conscience qu'un répertoire différent pouvait renaître avec les comédies de Corneille, le théâtre anglais élisabéthain (Shakespeare, Marlowe, mais aussi Ben Jonson et John Ford), le théâtre espagnol du Siècle d'or (Lope de Vega, Tirso de Molina, Calderón) et même parfois des auteurs dramatiques français qu'on avait oubliés, comme Rotrou, Desmarets de Saint-Sorlin (Les Visionnaires, par exemple, mis en scène au théâtre de Reims par Christian Schiaretti), ou Mairet (Les Galanteries du duc d'Aussone, par Jean-Marie Villégier, 1987). La Comédie-Française elle-même a mis en scène le Saint-Genest de Rotrou et Clitandre, tragi-comédie de Corneille, elle qui n'a point joué Sophonisbe depuis 1690. Sur ce point, le travail de Jean-Marie Villégier est absolument capital : directeur du Théâtre national de Strasbourg – et brutalement « démissionné » de cette fonction –, créateur de sa compagnie, la bien nommée L'Illustre-Théâtre, Villégier ne cesse de rendre visible un immense héritage artistique, longtemps masqué par une idée étroite de ce qu'est le « classicisme ». En 1987, avec William Christie, il a su en particulier montrer que l'Atys de Lully était un immense opéra. Du Malade imaginaire, il a rétabli le titre en son entier : comédie mêlée de chants et de danse, lors de sa mise en scène au Châtelet (1990), et fait sonner la musique de Marc-Antoine Charpentier. Régulièrement, la scène française s'enrichit ainsi de nouvelles « redécouvertes » : Médée de Charpentier à l'Opéra-Comique (1993), La Mort de Sénèque de Tristan L'Hermitte à la Comédie-Française (1984), Le Fidelle de Larivey à Chaillot ou au théâtre de la Monnaie de Bruxelles (1989), sans compter les lectures de Garnier et d'autres textes du xvie siècle à l'auditorium du Louvre, les mises en scène de Rotrou et de Corneille à l'Athénée, ainsi qu'un Tartuffe donné à l'automne 1999 dans ce même théâtre qui s'honore du soutien fidèle apporté à ce metteur en scène.

Pour Jean-Marie Villégier, il y a d'abord la diction et la déclamation. Autrement dit, le plus souvent, l'alexandrin non fossilisé, vivant. C'est en cela que ce metteur en scène est à la fois classique, baroque et moderne, parce qu'il s'interroge avant tout sur la manière de dire le vers ; c'est en cela aussi qu'il peut à bon droit figurer aux côtés de Vitez, de Jean-Claude Milner et François Regnault, auteurs de Dire le vers. Court traité à l'intention des acteurs et des amateurs d'alexandrins (1987) et de Christian Rist, puis de tous les metteurs en scène qui souhaitent que le vers reparaisse pleinement sur la scène, parce qu'il fonde le théâtre de cette période. C'est en cela encore qu'il poursuit le travail de Louis Jouvet, qui disait que « le théâtre, c'est d'abord un exercice de diction ». Villégier, donc, veut prioritairement faire en sorte que nous échappions à notre surdité en matière d'art dramatique. À cela, il ajoute l'idée qu'il est temps de faire une « contre-histoire du théâtre français » fondée sur le vers, mais aussi sur une connaissance plus précise et plus exhaustive de l'ensemble de la production dramatique du xviie siècle. Enfin, il s'agit pour lui d'apprendre, comme[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Jean-Pierre Vincent - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Leemage/ Bridgeman Images

Jean-Pierre Vincent

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