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THÉÂTRE OCCIDENTAL L'interprétation des classiques

Une nouvelle idée du classicisme

La période dont nous parlons met en effet en question, au théâtre comme dans la critique littéraire, une certaine idée du classicisme fondée sur l'autorité des anciens, sur la nation, sur la conscience d'une apogée du Grand Siècle, bref, sur une idée scolaire. À travers tout ce mouvement, le Grand Siècle devenu simplement le xviie siècle s'en est trouvé enrichi, revisité et soudain plus utile à tous parce qu'au lieu de fixer des normes, il donnait enfin des moyens de penser le monde, l'Histoire et le rôle du théâtre dans leur complexité irréductible. C'est là qu'il entrait en phase avec ce qu'est le théâtre, un art de la distance critique et de la contradiction, un moyen de ne pas sortir d'un spectacle avec les mêmes idées qu'en entrant, un vecteur de questions plus qu'un facteur de réponses.

Dans cette relecture du classicisme, il y eut aussi bien sûr le cas de Racine. Depuis le travail de Jean-Louis Barrault en 1942, le théâtre racinien suppose qu'on le représente sous un triple aspect : la force, la poésie et la musicalité de la langue, l'historicisation, enfin l'érotisation, voire la cruauté du désir. Si, durant les vingt-cinq années qui suivirent la Phèdre de Barrault, Racine ne donna lieu qu'à fort peu de mises en scène notables dans la mesure où Jean Vilar, préférant Corneille, avait décrété qu'il était inactuel et que fort peu de contradicteurs allèrent croiser son fer, les représentations de la fin des années 1960 insistèrent sur la cruauté, la subversion politique et l'émergence de la sexualité. On vit dans la fable racinienne de quoi échapper à la « musique racinienne » tant vantée par Proust et aborder violemment la force du désir en jouant sur la plastique des corps, les cris et les incantations. Et déjà, on s'interrogeait sur la manière de dire le vers racinien.

Ce fut donc entre 1971 et 1981, sous l'impulsion d'Antoine Vitez, et à la suite de la querelle universitaire qui opposa les tenants de la Nouvelle Critique (Barthes en particulier) aux tenants de l'érudition (Raymond Picard), que les mises en scène du théâtre racinien renouvelèrent à la fois l'idée qu'on pouvait se faire du classicisme et celle qu'on pouvait avoir de l'auteur qui le symbolisait. Les mises en scène de Vitez ne sont pas, ou pas seulement, des mises en scène formelles : elles entendent dire quelque chose du monde représenté, montrer comment une époque, une société (le xviie siècle et, dans une certaine mesure, le xxe siècle) utilise le mythe ou l'Histoire pour se dire. Phèdre, par exemple, mis en scène en 1975, représente un corps social auquel tout échappe parce que le pouvoir l'a rendu impuissant ; si bien que ces personnages, que ce corps privilégié et châtré qui s'exprime sur scène n'a pour toute arme que son langage et pour tout horizon que son désespoir infini. Politique, fable et langue tragique sont ainsi profondément noués. Vitez peut alors poser, à travers Racine, à la fois la question de la convention, en l'opposant à celle de la tradition, et la question du désir telle qu'elle peut se formuler au théâtre. Pour lui, le théâtre de Racine est « notre nō français », puisqu'il exacerbe la forme du discours pour donner cette impression d'étrangeté qui surprend et interroge le spectateur, en même temps qu'il dévoile la terrible impuissance des personnages. Parlant, chantant, déclamant, les comédiens surimposent une rhétorique gestuelle à la prosodie pour créer, par un perpétuel effet de surprise, une distance formelle nécessaire à la pensée. Antoine Vitez est allé à la rencontre du texte racinien pour donner une représentation polyphonique et cohérente du passé, d'une forme théâtrale, d'une poésie, mais aussi d'une série de questions philosophiques, dont celle de l'infinitude du désir. Comme[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Jean-Pierre Vincent - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Leemage/ Bridgeman Images

Jean-Pierre Vincent

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