THÉÂTRE OCCIDENTAL La dramaturgie
La dramaturgie face à la naissance d'un nouveau genre théâtral
Les réflexions sur le théâtre contemporaines de la naissance du drame, genre nouveau que Diderot, son créateur, situe dans l'intervalle existant entre la tragédie et la comédie, ne présentent pas l'apparente cohérence de la dramaturgie classique. À partir du milieu du xviiie siècle, l'esthétique théâtrale est repensée à travers des théories hétérogènes, qui se révèlent parfois en décalage avec la production dramatique de la même époque. Ainsi les Entretiens sur Le Fils naturel (1757) et De la poésie dramatique (1758) de Diderot, qui opèrent un bouleversement de la dramaturgie classique, appellent-ils une œuvre qui demeure à l'état d'ébauche. Elle trouve un prolongement théorique dans la Dramaturgie de Hambourg (1767-1768), où Lessing s'appuie sur les écrits de Diderot pour critiquer les règles édictées par les théoriciens de la tragédie classique. Mais la Dramaturgie de Hambourg propose aussi une réinterprétation de l'esthétique d'Aristote : la Poétique demeure une référence obligée, encore centrale dans la correspondance qu'entretiennent Goethe et Schiller de 1794 à 1805. Dès lors, la dramaturgie née au xviiie siècle ne répond pas seulement à l'émergence d'un genre théâtral qui connaît, sous l'impulsion de la redécouverte de Shakespeare, un développement nouveau au xixe siècle. Derrière l'essor du drame bourgeois, puis du drame romantique, se joue une hésitation entre des modèles dramaturgiques hérités du passé et la construction d'une pensée du théâtre résolument moderne, parce que ouverte à une poétique de la scène.
Une dramaturgie de la réception
L'intérêt porté, au xviiie siècle, à la réception de la pièce de théâtre inscrit d'emblée la dramaturgie dans une économie de la représentation. Ainsi Diderot, s'attachant à déconstruire les codes de la dramaturgie classique, adopte-t-il le point de vue du spectateur. De la poésie dramatique oppose le public du Père de famille (1758), en proie à une « longue inquiétude » parce que « confident de chaque personnage, instruit de ce qui s'est passé et de ce qui se passe », au spectateur du théâtre classique, suspendu dans l'attente de l'« instant de surprise » que provoque le coup de théâtre. Citant Diderot, Lessing réaffirme que l'intérêt du public sera renforcé par l'absence d'événement surprenant, et replace ce refus de l'effet de surprise dans l'histoire du théâtre. Sa pensée, bien que formulée au jour le jour, en écho aux représentations données au Théâtre national de Hambourg du 1er mai 1767 au 19 avril 1768, s'inscrit dans une vaste perspective historique. La Dramaturgie de Hambourg se construit explicitement contre la dramaturgie classique, et en particulier contre La Pratique du théâtre de l'abbé d'Aubignac, qui accorde une place centrale à la recherche de l'inattendu. En opposant les modèles, parfois contradictoires, de Sophocle, Shakespeare ou Diderot aux normes posées par d'Aubignac, Lessing réagit d'abord à la suprématie du goût classique français : la Dramaturgie de Hambourg accompagne la création d'un théâtre national allemand. La dépréciation d'un effet de surprise que Lessing qualifie de « misérable » contredit aussi la Poétique, où Aristote fait du coup de théâtre l'origine des émotions tragiques. Ainsi la Dramaturgie de Hambourg permet-elle de préciser les enjeux de la réception inédite que Diderot inscrit au sein même de son écriture théâtrale.
Dès les Entretiens sur Le Fils naturel, Diderot oppose le coup de théâtre au tableau, représentation statique qui pourrait être « rendue fidèlement par un peintre », et qui lui semble plus « naturelle » et plus « vraie ». La référence[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
- Hélène KUNTZ : maître de conférences en études théâtrales à l'université de Paris-III
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Médias
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