THÉÂTRE OCCIDENTAL La dramaturgie
La dramaturgie à l'épreuve de la crise du drame
De ses héritiers directs, Lessing, Beaumarchais ou Mercier, aux auteurs qui fondent le drame moderne au tournant des xixe et xxe siècles, Diderot influence durablement la pensée dramaturgique. Ainsi la conception naturaliste du théâtre défendue par Zola est-elle issue d'une esthétique réaliste en germe dès Le Fils naturel. L'impératif réaliste que l'auteur du Naturalisme au théâtre (1876-1880) emprunte à Diderot trouve une nouvelle légitimité dans l'expansion du roman : l'évolution de la dramaturgie passe désormais par le transfert sur scène des qualités du roman naturaliste, notamment son ouverture au monde réel.
Antoine, fondateur en 1887 du Théâtre-Libre, place ce mot d'ordre naturaliste au service d'un « impérieux besoin de renouveau » qui engage aussi le devenir scénique du texte de théâtre. Alors que la tragédie et le drame s'écrivaient en référence à un seul devenir scénique, le passage du texte à la scène devient, à la fin du xixe siècle, objet de choix, comme en témoignent les esthétiques divergentes d'Antoine ou de Lugné-Poe, qui place le théâtre de l'Œuvre, créé en 1893, sous le signe du symbolisme. L'invention de la mise en scène ouvre une disjonction entre une dramaturgie propre à chaque représentation, qu'une analyse du spectacle permet de restituer, et une dramaturgie inhérente au texte.
Dès les années 1880, les textes théâtraux étrangers répondent au désir de modernité exprimé par Zola. Si les œuvres d'Ibsen, Strindberg, Maeterlinck ou Tchekhov témoignent d'une crise du drame, cette crise revêt une portée positive. Tel est le sens que lui donne Peter Szondi, dont la Théorie du drame moderne (1954) retrace une mise en question productive de la tradition théâtrale. Szondi propose, dans un premier temps, un modèle théorique de la forme dramatique traditionnelle, qu'il qualifie de « drame absolu ». Défini comme un « événement interhumain dans sa présence », le drame est absolu en ce qu'il exclut tout élément extérieur à l'échange interhumain qu'exprime le dialogue, en particulier la médiation d'un sujet épique qui l'arracherait à la « suite absolue de présents » régissant son déroulement. Mais cette forme absolue entre en tension avec les sujets portés à la scène à la fin du xixe siècle : dès lors, le drame « nie dans son contenu ce que, par fidélité à la tradition, il veut continuer à exprimer formellement, l'actualité des liens humains ». Cette remarque engage une crise féconde pour la dramaturgie, parce que créatrice de formes nouvelles.
Une dramaturgie des auteurs
Les réflexions que Maeterlinck ou Strindberg formulent en marge de leurs pièces fondent la nécessité d'un renouveau de l'écriture sur l'évolution de la société : c'est en référence au réel que s'élabore cette dramaturgie des auteurs. Ainsi Maeterlinck définit-il, dans Le Trésor des humbles (1896), un « tragique quotidien » qui lui semble « bien plus réel, bien plus profond et bien plus conforme à notre être véritable que le tragique des grandes aventures ». L'alliance de deux termes opposés, le « tragique » et le « quotidien », rompt avec une dramaturgie de l'affrontement héroïque impropre à refléter la vie moderne. L'homme ne connaît désormais d'autre aventure tragique que la mort, qui constitue tout le sujet de L'Intruse (1891). Hantée par la présence hors scène de la Mère agonisante, la pièce prend la forme d'une veillée, expression exacte du « théâtre statique » qu'entend créer Maeterlinck. En germe dans le tableau diderotien, le statisme offre une alternative critique à l'action dramatique sans nier la possibilité de tout mouvement. L'immobilité physique[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
- Hélène KUNTZ : maître de conférences en études théâtrales à l'université de Paris-III
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Médias
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