THÉÂTRE OCCIDENTAL La théâtralité
L'œuvre théâtrale
Le comédien est un homme qui vit et respire en un certain lieu, à une certaine époque. Le personnage dont il tient le rôle est aussi un homme qui vit et respire en un certain lieu, à une certaine époque. La métamorphose par laquelle le comédien devient le personnage doit donc opérer un changement complet d'univers. Louis Jouvet est sur la scène du théâtre de l'Athénée à Paris en 1947 : Don Juan est en Sicile, déclare Molière qui ne donne aucune date précise, mais comme il joue la pièce en février 1665, l'action est évidemment antérieure à cette époque. Représenter une œuvre théâtrale, c'est donc créer ou recréer un monde.
Cette création implique la collaboration et la convergence d'arts différents. Puisque l'auteur écrit pour le comédien, à l'art d'écrire s'ajoute d'abord l'art de jouer : il faut apprendre à articuler, à crier, à se taire, à entrer, à sortir, à se grimer, etc. Mais ce comédien joue avec des vêtements appropriés à l'action : être nu, au théâtre, est encore un déguisement. Le costume d'ailleurs, n'est pas seulement un vêtement : c'est une figure colorée en mouvement qui se déplace et se détache sur un fond ; ce qui explique pourquoi, le plus souvent, le même artiste imagine les costumes et les décors. Certaines œuvres exigent un décor peint ; mais l'absence de décor est elle-même un décor ; lorsque la main du peintre n'a rien à exécuter, un œil de peintre prévoit ce qui sera vu. Les jeux de la lumière et des ombres ont toujours, bien sûr, créé une sorte de décor immatériel : l'électricité permet aujourd'hui d'intensifier la puissance dramatique des éclairages. Le corps de l'acteur se meut dans l'espace et l'espace appelle l'architecture ; dans la construction du théâtre ou du lieu théâtral, pour commencer : on ne peut, en effet, jouer n'importe quoi n'importe où ; on imagine mal, au théâtre antique d'Orange, Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, et un théâtre de poche serait un cadre bien étroit pour Le Soulier de satin. De plus, ce que nous nommons aujourd'hui « dispositif scénique » relève d'un art qui implique la science et le goût de l'architecte.
La représentation qui, au sens propre du terme, réalise l'œuvre, la rend réelle, n'est pas uniquement spectacle. L'action dramatique fait intervenir l'homme avec une conscience dont la lucidité multiplie les problèmes, avec un cœur que tourmente une nostalgie de l'infini ou de l'indéfini, avec un subconscient où les souvenirs ne dorment pas toujours et d'où instincts, passions, préjugés guident dans l'ombre nos idées claires et notre volonté. La vie déborde ce que l'intelligence est capable de comprendre et d'exprimer ; la poésie donne aux paroles la puissance de suggérer ce que les concepts ne sauraient saisir et communiquer ; mais n'y aurait-il pas encore dans l'âme humaine des mouvements, des frémissements, des pressentiments qui échapperaient à la magie du verbe ? Là où cesse le pouvoir des mots commence celui de la musique. Ce n'est point par hasard que le théâtre naît en musique, musique des sons unie à cette musique des corps qu'est la danse. Aristote inscrit dans la définition de la tragédie, comme partie constitutive, le chant (μελος).
Cette nature de l'œuvre théâtrale exige un artiste qui soit ici ce qu'est, ailleurs, le chef d'orchestre, qu'on l'appelle régisseur ou metteur en scène. Le metteur en scène de l'œuvre peut être son auteur. Mais quand Eschyle ou Shakespeare ou Molière ne sont plus là, quand leur œuvre doit être jouée dans des conditions qui ne sont plus celles de leurs premières représentations ? Quand l'auteur réclame[...]
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Écrit par
- Henri GOUHIER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à la Sorbonne, membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et politiques
Classification
Média
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