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THÉÂTRE OCCIDENTAL La théâtralité

Théâtre et cinéma

Les extraordinaires possibilités artistiques et commerciales du cinéma mettent-elles en question l'existence du théâtre ? Ne confondons pas, ici, un problème de philosophie et un problème de marché. Il appartient à la sociologie et à la psychologie de chercher s'il y a concurrence entre les salles de cinéma et les salles de théâtre, dans quelle mesure, en fait, les premières détournent la clientèle des secondes. Mais, en droit, le théâtre n'est pas plus condamné à disparaître devant le cinéma que la sculpture devant la peinture. Ce sont deux arts différents.

Ici et là, il y a action dramatique ; ici et là, il y a métamorphose ; mais, ici, avec une image sur un écran, là, avec la présence d'un homme au milieu d'autres hommes. Or l'expérience quotidienne nous apprend les avantages ou les inconvénients de la conversation par rapport à la correspondance, de l'examen oral par rapport à l'examen écrit, du cours dit par rapport au cours polycopié. Bref, il y a un sentiment de présence que la psychologie et la phénoménologie doivent reconnaître même si elles ne peuvent le décrire : si parfaite que soit la reproduction du visage, des formes, des couleurs, de la voix, aucune image ne saurait me donner l'illusion qu'un homme est là, devant moi, respirant le même air que moi. Ce n'est point sans raison que l'on dit d'un comédien qu'il a « de la présence ». Le comédien, en effet, agit par sa présence, et cela est propre au théâtre.

La vraie question que pose le cinéma ne vise pas l'existence du théâtre, mais sa structure. Si le théâtre implique la possibilité d'une participation de tous les arts, l'apparition d'un nouvel art étend-elle cette possibilité jusqu'à lui ? Ici encore, si le cinéma devait intervenir dans la représentation de l'œuvre théâtrale, ce serait pour dire ce que les autres arts ne disent pas. Tel est bien le sens de l'expérience faite par Claudel dans Le Soulier de satin (1929) puis dans Le Livre de Christophe Colomb (1935) ; l'étude Le Drame et la musique, qui sert de préface au dernier ouvrage, l'exprime avec précision : « Pourquoi ne pas laisser les images, suggérées par la poésie et par le son, s'exhaler de nous comme une fumée et se déposer un moment sur l'écran pour peu à peu s'effacer et laisser la place à d'autres rêves ? Pourquoi en un mot ne pas utiliser le cinéma ? [...] Pourquoi ne pas utiliser l'écran comme un miroir magique où toutes sortes d'ombres et de suggestions plus ou moins confuses et dessinées passent, bougent, se mêlent ou se séparent ? Pourquoi ne pas ouvrir la porte de ce monde trouble où l'idée naît de la sensation et où le fantôme du futur se mêle à l'ombre du passé ? » C'est ce que fait le poète quand il demande au cinéma d'illustrer la création du monde (« on voit tourner un énorme globe au-dessus duquel se précise peu à peu et rayonne une Colombe lumineuse ») ou la méditation de la reine Isabelle sur l'histoire de l'Espagne.

— Henri GOUHIER

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à la Sorbonne, membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et politiques

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Média

Edward Gordon Craig, vers 1960 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Edward Gordon Craig, vers 1960

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