THÉÂTRE OCCIDENTAL Le mélange des genres
Écriture scénique et cinéma
Un autre aspect de la contribution du cinéma au théâtre s'exprime de toute autre manière, sans nécessairement utiliser ses techniques ni multiplier les supports d'images. Il s'agit davantage d'intégrer des concepts propres au cinéma pour nourrir de nouvelles formes de théâtralité avec les moyens d'expression conventionnels du théâtre. Ainsi des effets de montage, de cadrage, de plan-séquence ou de profondeur de champ, similaires à ceux que l'on utilise au cinéma. Bon nombre de metteurs en scène de théâtre se sont engagés dans cette voie. Parmi les plus représentatifs en France, Patrice Chéreau, qui par ailleurs associe sa pratique du théâtre au cinéma, Claude Régy, Jacques Lassalle, Ariane Mnouchkine, Georges Lavaudant, André Engel, ou encore Eric Lacascade et François Tanguy avec le Théâtre du Radeau. Tous privilégient, à travers les mouvements, le rythme, les variations spatiales de leurs mises en scène, une filiation avec l'écriture cinématographique. Pour l'essentiel avec une volonté de lisibilité et d'affirmation d'un point de vue dramaturgique face à l'œuvre représentée, tout en modifiant le regard du spectateur. Ce résultat est obtenu moins en fonction des performances technologiques qu'en s'appuyant sur la complémentarité des deux arts, sans qu'il soit question de substituer l'un à l'autre.
On pourrait multiplier les exemples à travers les créations des metteurs en scène cités. Le Woyzeck monté par André Engel à l'Espace Malraux de Chambéry en 1998 est particulièrement représentatif d'une référence scénique au cinéma. Le metteur en scène a choisi de transposer le drame de Büchner dans l'époque contemporaine, et plus précisément dans une cité de la périphérie urbaine. Dans un texte de présentation, Engel livre les lignes directrices qui ont orienté sa démarche théâtrale pour suivre le destin implacable de ce cœur simple devenu soldat malgré lui pour échapper à la misère. Il choisit de procéder « discrètement, d'un regard de constat, un peu à la manière d'un reportage, sans commentaires, sans explications [...] sans chercher à provoquer ni affliction, ni pitié, ni effroi, devant l'absence d'issue... ». Plus loin à propos du personnage, le metteur en scène ajoute : « On dit de lui qu'il court à travers le monde comme un rasoir ouvert et qu'on risque de s'y couper. Nous l'avons suivi dans cette course étrange, passant rapidement d'un endroit à l'autre, traversant une sorte de récit – fait de séquences brèves et non hiérarchisées – susceptible de favoriser son passage ainsi que celui de quelques autres personnes, à travers une courte unité de temps. » Reportage, séquences, des options qui ont amené le metteur en scène – également réalisateur de film – à choisir forme cinématographique en utilisant les moyens artisanaux du théâtre. Avec son décorateur Nicky Riéti, Engel installe, pour les vingt-trois séquences de durées plus ou moins brèves qui constituent la pièce (de 3 s pour la plus courte à 5 min 43 s pour la plus longue), un dispositif en avant-scène qui ponctue chacune d'elles d'un mouvement d'ouverture et de fermeture assimilable au diaphragme d'un appareil de prise de vue. Celui-ci, pour l'essentiel, est composé de quatre pans de velours noir dont l'amplitude de mouvement permet de varier les vitesses d'obturation et d'ouverture, comme les cadrages scéniques souhaités. Ces effets spectaculaires sont obtenus non par une machinerie sophistiquée, mais par la précision et la sensibilité de quatre techniciens qui commandent par tirage les adaptations nécessaires. Ce premier élément scénographique se devait d'être associé à une fonctionnalité nécessaire aux changements de lieux et au rythme des séquences qui composent la représentation. Quatre éléments de dimensions variables, qui s'apparentent à des décors de studio très architecturés, représentent respectivement l'appartement[...]
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
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Médias
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