THÉÂTRE OCCIDENTAL Le nouveau théâtre
C'est au début des années 1950 que remonte la naissance de ce qu'on est convenu, plus tard, d'appeler le « nouveau théâtre », à l'instar du « nouveau roman » qui avait trouvé sa dénomination, non sans quelque intention publicitaire, un peu auparavant. L'un et l'autre avaient en commun une volonté de rupture avec l'héritage (notamment avec le psychologisme et l'humanisme traditionnels), quelques grands ancêtres (dont Joyce et Kafka) et un écrivain capital : Samuel Beckett ; la création et le succès, certes relatif mais décisif, de sa pièce En attendant Godot, en 1953, au théâtre de Babylone à Paris, établirent la réalité de ce « nouveau théâtre » qui n'avait pas encore été baptisé ainsi.
Ce nouveau théâtre n'est pas resté circonscrit à la dramaturgie française des années 1950. Il a fait école. Il s'est transformé. Du texte, il a gagné la scène. Il s'est diversifié. Jusqu'à perdre son identité dans la seconde moitié des années 1970.
Une dramaturgie du refus
C'est en 1950 que se produisirent les premières manifestations du « nouveau théâtre » ; cette année-là, La Cantatrice chauved' Eugène Ionesco apparut, à l'affiche du théâtre des Noctambules ; les deux premières pièces d' Arthur Adamov, La Parodie et L'Invasion, écrites depuis quelque temps déjà, furent publiées en un volume où figuraient des témoignages élogieux de Gide, de Prévert, de René Char, et sa troisième pièce, La Grande et la Petite Manœuvre, créée, elle aussi, aux Noctambules.
Les titres de ces œuvres l'indiquent assez : un tel théâtre procédait d'abord d'un refus du théâtre tel qu'il se pratiquait alors. Dans La Cantatrice chauve, il n'y avait ni cantatrice ni chauve : rien que des Smith et des Bobby Watson, rabâchant, à longueur de soirée, des lieux communs empruntés (Ionesco l'a avoué plus tard) à L'Anglais sans peine, un manuel de la méthode Assimil. Et, sur la page de garde du premier tome de son Théâtre, Adamov annonçait son « refus délibéré de s'abandonner à ce que Jean Vilar appelle les dentelles du dialogue et de l'intrigue ».
Ce contre quoi ces nouveaux dramaturges s'inscrivaient en faux, c'était le théâtre psychologique, voire philosophique, qui avait fait les beaux soirs de la scène française entre les deux guerres. Ils dénonçaient les subtilités langagières d'un Giraudoux ou les travestissements à l'antique d'un Cocteau comme autant de trahisons de ce que devait être un véritable théâtre. Ils s'en prenaient aussi aux pièces à message d'un Camus, voire d'un Sartre (celui des Mains sales et de Morts sans sépulture plus que celui de Huis clos). Contre une métaphysique du langage et contre des discours idéologiques, ils revendiquaient une « physique de la scène ». Dès cette époque, la formule d' Artaud (celui-ci restait encore peu connu, mais Adamov, qui avait été son ami, s'en réclamait) : « La scène est un lieu physique et concret qui demande qu'on le remplisse et qu'on lui fasse parler son langage concret », aurait pu leur servir de slogan. Adamov ne se promettait-il pas de « faire de la scène le lieu même de l'action ». Dans mon théâtre, poursuivait-il, « tout est visible, jusqu'aux motifs cachés qui fondent le drame. Visible au point de nous proposer un véritable sens littéral. Ainsi, dans L'Invasion, le désordre des pensées, qui empêche de vivre tous les personnages, se manifeste par le désordre de la chambre qu'ils habitent. Dans La Grande et la Petite Manœuvre, la mutilation physique du héros traduit sa dépossession intérieure. Les tares morales reprochées aux réfugiés de Tous contre tous sont résumées dans une tare physique : ils boitent, dit-on. Enfin, Le Professeur[...]
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Écrit par
- Bernard DORT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle (études théâtrales), professeur au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (dramaturgie)
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Médias
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