THÉÂTRE OCCIDENTAL Le nouveau théâtre
Une autre contestation
Vers 1960, alors que Beckett et Ionesco commençaient à être joués sur toutes les scènes du monde et faisaient l'objet d'innombrables commentaires, peu ou prou universitaires (américains, notamment), le « nouveau théâtre » des années 1950 était bel et bien mort. Il avait sans doute rempli sa tâche : celle d'un « déconditionnement » de la dramaturgie bourgeoise héritée du xixe siècle et un peu frottée de belles-lettres pendant la première moitié du xxe siècle. Mais il avait trébuché dans son ambition majeure : celle de fonder un théâtre en quelque sorte « pur » qui ne doive rien à la littérature ni aux idéologies. Il reste qu'il avait mis en branle un processus de transformation aussi bien de la dramaturgie que de la pratique théâtrale, et que ce processus était irréversible.
Sans doute, un peu partout, les imitateurs et les épigones du « nouveau théâtre » proliféraient (de Wolfgang Hildesheimer à Norman Frederick Simpson, en passant par Robert Pinget et par les premières pièces de Harold Pinter, sans oublier des auteurs dramatiques surgis un peu plus tard, à l'Est, qui réussissaient à concilier la dramaturgie selon Beckett ou Ionesco avec leur tradition nationale : ainsi, par exemple, Sl̄awomir Mrożek en Pologne et Václav Havel en Tchécoslovaquie). Mais de nouvelles exigences se faisaient sentir. Les noms, devenus des slogans, de Brecht et d' Artaud en témoignent. Non qu'il y ait eu à proprement parler influence de ces auteurs – surtout pour ce qui est d'Artaud dont l'œuvre était encore difficile d'accès : souvent ceux qui se réclamèrent expressément de l'un ou de l'autre (quand ce ne fut pas des deux à la fois) ne prirent guère la peine de les lire et moins encore celle de les comprendre. Toutefois, le nouveau théâtre des années 1960 fut hanté par le désir de réaliser ou ce théâtre épique et politique dont Brecht, mort en 1956, avait échafaudé la théorie, construit la méthode et laissé des modèles (au sens propre du mot : que l'on se reporte aux « livres modèles » d'Antigoneou de Mère Courage) ou le « théâtre de la cruauté » qu'Artaud, mort en 1948, avait célébré, voire les deux simultanément.
C'est au courant brechtien que l'on peut rattacher, alors, bon nombre des dramaturges de langue allemande (à l'exception de Peter Handke) et, parmi eux, Max Frisch, pour qui la rencontre avec Brecht, en 1947, en Suisse, fut décisive, Martin Walser et Peter Weiss. Ils eurent en commun la volonté de traiter à la scène des problèmes essentiels de la société allemande (dont celui, bien sûr, de sa responsabilité dans le nazisme, la guerre et les camps de concentration) et de le faire dans une forme à laquelle Brecht a redonné ses lettres de noblesse : la « pièce didactique » (ou Lehrstück : Max Frisch sous-titre Biedermann et les incendiaires « pièce didactique sans doctrine »). En apparence, la modification de la dramaturgie traditionnelle à laquelle procédèrent un Frisch ou un Walser est moins radicale que celle des auteurs des années 1950 : le personnage est réinstauré dans son identité, la description du milieu social va jusqu'à frôler le naturalisme... C'est aussi le cas avec ce qu'on a appelé le « nouveau théâtre anglais » qui est plus ou moins issu de l'« école de la cuisine » (d'après le titre de la première pièce de Wesker : La Cuisine). Sans doute des dramaturges comme John Osborne et Arnold Wesker utilisèrent-ils certains procédés du « théâtre épique » selon Brecht : construction par tableaux nettement séparés les uns des autres, inclusion de songs coupant l'action, présence d'un narrateur... Mais c'est plutôt au théâtre réaliste de la fin du xixe siècle qu'il faudrait rattacher ces dramaturges, à celui[...]
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Écrit par
- Bernard DORT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle (études théâtrales), professeur au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (dramaturgie)
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Médias
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