THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et politique culturelle
Dès son apparition en Grèce, le théâtre a suscité l'intérêt du pouvoir. Intégré dans le fonctionnement même de la cité athénienne, il fut d'abord un instrument de la démocratie, puis, quelques siècles plus tard à Rome, un moyen de canaliser les ardeurs du peuple et de le distraire de la réalité. Revenu au cœur de la vie urbaine, à l'époque médiévale, il eut partie liée avec l'imaginaire collectif de la chrétienté avant d'éveiller l'intérêt de la monarchie, particulièrement en France, puis d'être mis sous surveillance à cause même du rôle qu'il pouvait jouer dans le débat politique et social. À partir de la seconde moitié du xixe siècle, cependant, le théâtre se libérait de ses liaisons avec l'État, au fur et à mesure qu'il devenait un art de divertissement, en consonance avec les idées dominantes. La puissance publique s'est repliée alors sur son pré carré, en réservant ses soins au patrimoine dont elle avait la charge et à l'enseignement qu'elle devait contrôler : il n'était plus question de mécénat d'État en dehors de la Comédie-Française et de l'Opéra, et encore moins d'une intervention publique dans l'organisation de la vie artistique et dans la diffusion des œuvres. Mais avec le triomphe de la société industrielle surgit de nouveau, à partir des années 1890, l'idée qu'il ne suffisait pas que l'État prenne en charge l'instruction du peuple, mais qu'il y avait lieu d'assurer à chacun un accès égalitaire aux productions de l'art et de la pensée. Il faudra une cinquantaine d'années pour que cette revendication débouche en France sur l'élaboration d'une politique culturelle proprement dite, dont le théâtre sera pendant longtemps le fer de lance.
Premières esquisses
C'est le gouvernement du Front populaire, de 1936 à 1938, qui a sans doute jeté les bases d'une politique de la culture, en s'intéressant aux pratiques artistiques des amateurs, en se souciant de l'éducation populaire et en mettant en place quelques aides indirectes à des metteurs en scène, sans oublier l'attention qu'il a portée à la décentralisation de l'art dramatique, qu'il croyait nécessaire de favoriser sans recourir à des subventions de l'État. Le gouvernement de Vichy s'inscrivit, pour des raisons qui lui étaient propres, dans la continuité de ces préoccupations, et confia à divers organismes (de Jeune-France à Uriage, en passant par les comités professionnels) le soin de réfléchir aux structures et aux modalités d'une nouvelle organisation du théâtre. La Résistance ayant conduit une réflexion similaire, avec parfois les mêmes hommes, toute une génération d'artistes et de militants sera prête, au lendemain de la guerre, à inscrire dans les faits ce qui ressemblait bien, déjà, à une politique culturelle, sans que le mot soit explicitement prononcé.
Il est en effet créé en 1945, au sein du ministère de l'Éducation nationale, une direction générale des Arts et Lettres, chargée de prendre des initiatives dans les disciplines relevant de ce double secteur. Et c'est à Jeanne Laurent (1902-1989), qui s'occupe depuis plusieurs années de l'administration du théâtre et des spectacles, qu'il va revenir de mettre en place un certain nombre de mesures cohérentes qui à la fois inaugurent l'intervention de l'État dans la vie théâtrale et formulent, pour ainsi dire, le mode d'emploi.
Le premier article de cette action, qui va se déployer pendant cinq ans, de 1947 à 1952, concerne la décentralisation : cinq centres dramatiques nationaux sont créés, à Colmar, Saint-Étienne, Rennes, Toulouse et Aix-en-Provence, avec pour mission d'être des lieux de création, animés par des troupes permanentes et appuyés par les collectivités[...]
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Écrit par
- Robert ABIRACHED : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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Média
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