THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et politique culturelle
Un ministère spécialisé
Après le limogeage de Jeanne Laurent, en 1952, les choses ont été maintenues dans l'état où elle les avait laissées, jusqu'à ce que la Ve République reprenne à son compte, en 1959, l'ambition de veiller au développement et à la diffusion des lettres et des arts : il est alors créé de toutes pièces un ministère des Affaires culturelles, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est considéré en un premier temps avec une certaine circonspection. La mission qui lui est assignée reprend avec d'autres mots les principaux objectifs désignés par les Arts et Lettres : il s'agira de « rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent ».
Grandement aidé par le prestige d'André Malraux, ministre d'État jusqu'en 1969, et par le dévouement de fonctionnaires convaincus et inventifs (de Pierre Moinot à Émile Biasini), le « Petit Poucet » du gouvernement n'a pas tardé à s'affirmer auprès des artistes et du public, à défaut de soulever l'enthousiasme du ministère des Finances : il a élargi ses compétences au fil des années et systématisé le programme esquissé par Jeanne Laurent, en l'enrichissant d'un projet nouveau qui prévoyait la mise en place d'un réseau d'établissements interdisciplinaires, gérés avec la collaboration de leurs usagers et en étroit partenariat avec les collectivités locales : les maisons de la culture, dont Malraux attendait, en le disant avec un peu de grandiloquence, qu'elles répondissent aux défis des temps nouveaux.
Parallèlement, en filigrane des déclarations ministérielles, transparaît un plan d'organisation du théâtre subventionné. L'Odéon, rebaptisé Théâtre de France et confié à Jean-Louis Barrault en 1959, est destiné à illustrer un répertoire moderne et contemporain, en complément des deux autres théâtres nationaux (Comédie-Française et T.N.P.), qui doivent respectivement veiller aux œuvres du patrimoine et inventer un théâtre populaire qui rassemble la nation. En province, la décentralisation est poursuivie de trois manières : par la reconnaissance de troupes permanentes (il en sera créé quatorze en dix ans), par l'extension du réseau des centres dramatiques nationaux et par le lancement d'une dizaine de maisons de la culture, créées ou mises en préfiguration, presque toutes autour d'un projet théâtral. Le ministère reconnaît enfin le fait nouveau constitué par la multiplication des compagnies indépendantes : elles relèveront désormais d'une commission d'aide aux animateurs, tandis que le théâtre privé prend place à la périphérie de cette architecture à travers la création du Fonds de soutien en 1964.
Si cet effort est approuvé et soutenu par l'ensemble des animateurs du théâtre subventionné, qui ne mettent en cause ni la compétence ni la méthode de leurs autorités de tutelle, il continue à être considéré avec goguenardise par les forces politiques majoritaires et combattu par quelques adversaires irréductibles qui s'opposent au principe même de l'intervention de l'État en matière artistique, tournant en dérision l'attention désormais portée au mot et à la notion de culture. Mais il s'agit là de combats qu'on peut qualifier d'arrière-garde, tant l'adhésion aux idées et aux pratiques nouvelles est grande dans le public, définitivement séduit par le désintéressement et par le talent qu'il rencontre dans le secteur subventionné. Les difficultés viendront des contradictions qui vont apparaître et se développer au sein même des établissements dans un contexte politique et culturel global.[...]
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Écrit par
- Robert ABIRACHED : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
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Média
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