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THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et politique culturelle

Questions pour aujourd'hui

C'est pourquoi la question préalable qui se pose aujourd'hui à toute politique culturelle concerne d'abord ses présupposés et le rapport qu'elle entretient avec des objectifs d'intérêt général. Il est clair qu'on ne peut, pour toutes sortes de raisons, relancer l'idée du service public telle qu'elle a triomphé de 1945 à 1970. C'est sa réussite même qui commande aujourd'hui de la reconsidérer en partant d'une distinction qu'il devient urgent de faire entre l'art et la culture.

L'art théâtral, de toute évidence, a besoin d'une absolue liberté, y compris celle de contester, de détruire, d'imaginer le possible et l'impossible, de semer l'irrévérence, l'angoisse ou la subversion. Il n'est pas canalisable, ce qui ne veut pas dire qu'il ne concerne pas le bien de la collectivité : pour l'aider à vivre, il faut à la République une bonne dose de vertu, et cette vertu est plus que jamais nécessaire face à la marée audiovisuelle.

La culture, elle, concerne spécifiquement l'usage qui est fait de l'art : des apprentissages nécessaires pour l'aborder aux conditions de sa meilleure diffusion, des leçons qu'on peut tirer de sa fréquentation aux applications sociales, thérapeutiques ou éducatives qu'il peut procurer. On peut légitimement penser que toute cette activité est du ressort de la puissance publique et que sa prise en charge a quelque chose à voir avec l'exercice de la démocratie. On y rattacherait dès lors tout ce qui a constitué naguère le terrain de l'éducation populaire : théâtre amateur, écoles du spectateur, maisons des jeunes et de la culture, etc.

Ainsi, une fois confirmée et réajustée la notion de service public en matière artistique et culturelle, il devrait être possible de soustraire le budget du théâtre aux turbulences arbitraires dont il a souvent été l'objet, notamment depuis 1994, à travers des lois de finances rectificatives ou des gels de crédits. Quoique encore substantiels, les moyens alloués à la direction du théâtre et des spectacles sont en net reflux, sans compter qu'ils sont soumis à une accélération des transferts aux directions régionales, qui pourraient à terme émietter la doctrine et les méthodes du ministère de la Culture.

En tout état de cause, il est désormais acquis que les fonctionnaires responsables de la culture, où qu'ils soient, sont tenus à une double neutralité, politique et artistique ; qu'il n'entre pas dans leur mission de régenter les arts ni de bureaucratiser les parcours des artistes ; que leur action met du temps à produire des résultats, au rebours de la pratique des « effets d'annonce », devenue si courante. Une politique culturelle consiste à inciter, à proposer, à arbitrer, puis à surveiller ce qui doit l'être, c'est-à-dire l'utilisation des fonds publics, en étant attentif à la logique de l'art tout autant qu'à celle de la comptabilité. Elle ne peut se développer, s'agissant du spectacle vivant, qu'en liaison avec tous ceux qui le font, ce qui n'implique en soi ni complaisance ni autoritarisme, mais une attention vigilante à la particularité des démarches, à l'évolution des formes et aux signes multiples du temps.

— Robert ABIRACHED

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Écrit par

  • : agrégé des lettres classiques et docteur ès lettres, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X-Nanterre

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Média

André Malraux - crédits : Bettmann/ Getty Images

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