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THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et sociétés

La dynamique des flux et des reflux qui anime la vie des sociétés a orienté le sens, la forme et l'organisation des spectacles qu'elles se donnent, pratiques vivantes autour desquelles la collectivité se retrouve. Religieux ou profanes, politiques ou hédoniques, triviaux ou savants, ces moments à voir et à vivre se sont parfois stabilisés en des savoirs et des codes plus ou moins rigoureux. Ce que nous appelons en Occident théâtre n'est que l'un des pics émergents engendrés par les sociétés, à partir d'un faisceau de potentialités et de caractères qui sont quant à eux communs à l'espèce humaine. Né d'une combinatoire particulière d'éléments dans des contextes géographiques, historiques et culturels donnés, et loin d'être universel, cet art est à ce point enraciné dans l'héritage des cultures européennes qu'il a engendré une illusion : le singulier a tôt été pris pour le pluriel. Le spectacle théâtral est devenu le paradigme à partir duquel d'autres formes et d'autres pratiques ont été approchées et évaluées, dès lors qu'elles paraissaient manifester des indices de parenté avec ce que la philosophie des Lumières considérait comme le signe par excellence de la civilisation.

Le statut symbolique du théâtre

La place privilégiée que le théâtre occupe dans la mémoire collective laisse entendre qu'il ne s'agit pas là seulement d'esthétique. À bien examiner sa position dans la vie sociale, les mouvements historiques de l'invention esthétique, le discours culturel, et le champ de la recherche scientifique, le théâtre constitue une « maquette anthropologique » d'une étonnante richesse dont la complexité significative procède des contradictions apparentes dont elle est tissée. Cet art, devenu minoritaire dans les sociétés industrielles, s'est en effet imposé comme paradigme en lieu et place de ce qui le fonde, comme si au-delà des formes il renvoyait à une question essentielle sur la nature de l'homme.

Pourquoi, est-on en droit de se demander, le théâtre est-il ainsi devenu un modèle épistémologique pour les disciplines qui s'efforcent de rendre compte du phénomène humain ? L'ethnologie et l'anthropologie, la psychanalyse, la sociologie, les sciences politiques, la critique d'art recourent volontiers à la métaphore théâtrale pour rendre compte aussi bien des conduites rituelles que de l'activité psychique, des relations interpersonnelles, de l'organisation du social et du politique, d'une installation plastique. L'anthropologue américain Clifford Geertz s'était inquiété dans les années 1980 de la facilité avec laquelle certains sociologues s'étaient emparés du vocabulaire théâtral, au prix d'une confusion des genres. Avouant que les tenants du problème étaient difficiles à cerner, il aurait pu poser la question : quel est donc le manque théorique, ou l'aporie que la métaphore théâtrale serait invitée à combler, faute de mieux ? À moins qu'il ne s'agisse banalement d'un transport de sens aussi trompeur que le discours généraliste sur les rapports du théâtre et de la société. Les familles théâtrales générées par les sociétés européennes présentent en effet, sous le dehors de la parenté, une étonnante disparité. L'attitude du politique est à cet égard significative. L'organisation du théâtre dans la France contemporaine diffère ainsi mais sans rompre, des dispositions prises par la Convention qui, en 1794, a placé les spectacles sous la tutelle de la commission d'instruction publique (décret du 12 germinal an II). Soixante-dix-sept ans plus tard, la Commune de Paris décidait à son tour que les théâtres relevaient de la délégation à l'enseignement. Il resterait à évaluer l'influence du politique sur l'esthétique, non en termes d'ajustement de la littérature dramatique à l'idéologie,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-VIII, directeur du laboratoire d'ethno-scénologie

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