THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et sociétés
Vers une scénologie générale
L'invention humaine n'est pas réductible au cas grec, ni à ce que Rome sut en faire lors de sa rencontre avec l'hellénisme du iiie siècle avant Jésus-Christ. On ne peut appréhender le sens des pratiques performatives qui se sont développées dans le contexte hindou, au-delà de la fascination éprouvée pour leurs formes et la virtuosité des « acteurs-danseurs », qu'en examinant au préalable la nature de l'image divine dans la civilisation indienne, dans sa matérialité et ses représentations mentales. Non seulement on y rencontre une combinaison d'éléments physiques, concrets et d'éléments imaginés, fantasmatiques, mais aussi une dimension corporelle fondamentale dans le cadre du culte. Le yoga, devenu en contexte tantrique une partie des rites, engage le fidèle dans une participation somatopsychique particulière : « La forme ou les formes divines créées mentalement seront vécues comme existant non seulement dans le cosmos ou dans „l'espace de la conscience“ (cidakasa), mais aussi et surtout dans le corps – essentiellement dans les centres du corps subtil – de celui qui les suscite. Leur présence, leur dynamisme, sera suivi de l'œil de l'esprit dans leurs déplacements intra-corporels (associés le plus souvent au mouvement de la kundalini, qui trouve d'ailleurs son point d'arrivée hors du corps » (André Padoux). À trop distinguer l'ordre du rituel de l'ordre du théâtral, on a perdu de vue que le contexte dans lequel naissent et vivent les pratiques performatives n'est jamais ni totalement séculier ni totalement religieux. L'héritage du religieux ne se borne pas à un simple répertoire symbolique. Il porte en lui des façons de penser, de s'émouvoir, d'imaginer, de dire, de se comporter et des techniques du corps. La sécularisation des attitudes ne s'accompagne pas nécessairement de la disparition de ces traces d'autant plus subtiles que le souvenir de leur origine a été perdu. En revanche, la licence fustigée par les premiers missionnaires qui ont assisté au pilou canaque ne s'oppose pas fondamentalement à la dimension mystique mais peut fort bien s'y associer.
Quand on songe combien il est naturel et avantageux pour l'homme d'identifier sa langue et la réalité – écrivait le linguiste André Martinet –, on devine quel degré de sophistication il lui a fallu atteindre pour les dissocier et faire de chacune un objet d'étude. Un effort similaire a permis de redéfinir la notion de musique en considérant que toute « musicologie est en réalité une musicologie ethnique » (John Blacking). La réflexion et le travail de terrain entrepris dans ce domaine ont conduit à l'élaboration progressive de l'ethnomusicologie depuis une quarantaine d'années. C'est ainsi que, récemment, l'ethnomusicologie a vu se développer un intérêt croissant pour une approche cognitive du fait musical et pour des méthodes d'analyse de type sémiologique (comme chez Simha Arom, 1981). Celle-ci, à partir des années 1960, a évolué dans ses principes et ses méthodes au fil du mouvement général des sciences. Pour Jean-Jacques Nattiez, « par les questions qu'elle suscite, l'ethnomusicologie joue un rôle tout à fait spécifique vis-à-vis de la musicologie traditionnelle, car elle oblige à relativiser – en soulignant la spécificité de notre culture – les œuvres et les pratiques musicales occidentales. En ce sens, l'ethnomusicologie participe à la construction progressive d'une musicologie générale ».
Ce n'est qu'en mai 1995 que la notion d'ethnoscénologie a été officiellement proposée lors d'un colloque inaugural qui s'est tenu à l'U.N.E.S.C.O. et à la Maison des cultures du monde, à Paris. L'apparition tardive de cette discipline, en dépit de l'œuvre des[...]
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Écrit par
- Jean-Marie PRADIER : professeur à l'université de Paris-VIII, directeur du laboratoire d'ethno-scénologie
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