THÉÂTRE OCCIDENTAL Théâtre et sociétés
Un trait fondateur de l'espèce
Nous avons dit que les pratiques performatives humaines étaient des maquettes anthropologiques privilégiées où se retrouvent étroitement emmêlés les traits fondateurs des sociétés et les fruits de leur capacité d'invention. Elles associent en effet corporéité et symbolisation. La plupart combinent la totalité des activités somatopsychiques – musique, danse, oralité. Qu'il s'agisse d'évoquer les dieux, les puissances telluriques et les énergies du cosmos, de pleurer les morts, de fêter les héros, de donner sang aux mythes, d'accorder vie à la poésie, de provoquer l'émotion, d'éprouver un sentiment, de modifier l'état de conscience, d'aiguillonner le désir érotique, de prendre du plaisir, de rendre perceptible les immatériaux, d'expulser ou d'éloigner les démons et d'exposer la pensée, l'espèce humaine a conçu une infinité de pratiques auxquelles répond une infinité de systèmes d'usages du corps et du langage. Leur dimension comportementale montre que loin d'être une simple abstraction dégagée de toute matérialité, le symbole et l'activité symbolique sont aussi bien liés à la vie organique qu'à la vie mentale des individus et des sociétés. On peut adopter le mot de Valéry, « corps de l'esprit », pour qualifier ces événements auxquels le contraste parfois violent avec la tiédeur et la banalité du quotidien confère une dimension spectaculaire, c'est-à-dire repérable par les sens et l'esprit, et fédératrice. Ces moments ne sont jamais anodins pour les communautés. Elles leur attribuent pour la plupart une certaine efficacité, même lorsqu'ils sont devenus une obligation à laquelle chacun est appelé à souscrire par contrainte ou habitude. Stimulants ou apaisants, ludiques ou inquiétants, hédoniques ou punitifs, signe d'appartenance à une collectivité, à une classe sociale, intermédiaire entre les instances, ces pratiques ont pour caractéristique d'engager l'individu dans son unité biologique, psychologique et sociologique. C'est l'Homme Total (Mauss) qui se trouve impliqué dans ces actions physiques codifiées qui se déploient dans les espaces publics ou secrets du visible.
Le corps en question
Mentionner un « usage du corps », demande que soient clarifiées au préalable un nombre non négligeable de prémisses afférentes au sens donné à ce corps, depuis l'intelligence de son organisation et de son articulation avec les instances non somatiques, jusqu'à la place que nous lui attribuons dans l'univers visible et invisible, aux relations qu'il entretient avec les éléments de celui-ci et les procédés par lesquels nous en maintenons l'harmonie – la santé – ou en compensons le dysfonctionnement – la maladie. On ne s'étonnera pas, alors, de constater l'écart qui tient à distance des arts du corps dont l'un, en Occident, est marqué par la connaissance anatomique obtenue par la dissection des cadavres, et l'autre, en Asie, est inséparable de la science consacrée à l'étude des flux énergétiques d'un organisme vivant. Au contraire de ce que peut donner à penser la notion de spectacle ou encore celle d'expression, l'activité des performers – chaman, danseur, mime, acrobate, comédien, griot, derviche... – ne se limite pas à leur aspect émergent. L'acte spectaculaire n'est pas seulement générateur de signes pour qui les perçoit. Il est un nutriment pour qui l'accomplit, assure le maintien de son intégrité et l'épanouissement de son être total.
Œil, main, cerveau
Nous savons bien peu de l'aventure des milliers de civilisations, de sociétés, de langues, de religions, de coutumes à travers 4 000 000 d'années, 70 milliards d'hommes et 200 000 générations (Yves Coppens). Toutefois[...]
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Écrit par
- Jean-Marie PRADIER : professeur à l'université de Paris-VIII, directeur du laboratoire d'ethno-scénologie
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