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THÉÂTRES DE LA RIVE GAUCHE

Alors que, sur la rive droite, le Boulevard visait et obtenait les grosses recettes, alors que prenait forme, avec éclat au T.N.P., plus difficilement en province, un théâtre à vocation populaire, quelques pauvres petites salles, presque toutes situées sur la rive gauche de la Seine, démunies de soutien financier public comme privé, se sont payé le luxe de découvrir presque tout ce qui a compté dans le théâtre de cette époque : Audiberti, Vauthier, Ionesco, Genet, Beckett, Adamov, Dubillard, Weingarten et bien d'autres.

Deux metteurs en scène, deux découvreurs de textes, André Reybaz et Georges Vitaly, donnent, dès l'après-guerre, le coup d'envoi au théâtre nouveau. Un théâtre le plus souvent poétique, qui récuse le réalisme et se plonge, avec ivresse, dans les délices d'un langage comme libéré.

En 1946, Reybaz crée, à la Gaîté-Montparnasse, Quoat-Quoat d'Audiberti, et, l'année suivante, Vitaly donne au Théâtre de Poche, avec Suzanne Flon, Le mal court du même Audiberti, qu'il reprend bientôt aux Noctambules. Encore un an et c'est l'ouverture, par Georges Vitaly, du théâtre de la Huchette. Reybaz et Audiberti y participent, l'un comme metteur en scène, l'autre comme adaptateur d'une pièce de Bompiani : Albertina. Pendant quelques années, la Huchette et les Noctambules, ces deux minuscules théâtres, seront les deux pôles les plus vivants de la création théâtrale. À la Huchette, Vitaly se consacre surtout à Audiberti, dont il monte La Fête noire (1948) et Pucelle (1950). Il y découvre Schehadé (Monsieur Bob'le, 1951) et crée, avec Jacques Fabbri, Edmée de Bréal (1951). Aux Noctambules, dès 1947, c'est le coup d'éclat des Épiphanies de Pichette. Cette création, qu'on doit également à Vitaly, avec Maria Casarès, Gérard Philipe et Roger Blin, s'impose comme l'un des grands événements poétiques de l'après-guerre. Puis, ce seront, en 1949, Fastes d'enfer de Ghelderode, mise en scène d'André Reybaz et, successivement, le 16 avril 1950, L'Équarrissage pour tous de Boris Vian (toujours par Reybaz) et, le 16 mai, la première pièce d'un auteur roumain inconnu, La Cantatrice chauve de Ionesco (mise en scène de Nicolas Bataille). Enfin, en novembre de la même année, Jean-Marie Serreau monte La Grande et la Petite Manœuvre d'Adamov.

C'est la grande époque du théâtre dit d'avant-garde ou de l'absurde, celle qui vit la révélation et la confirmation, tout d'abord dans les petites salles de la rive gauche, ensuite au Théâtre de France, de Ionesco, de Beckett et de Genet. Il leur faudra à chacun dix ans environ pour franchir l'espace qui sépare la rue Champollion (théâtre des Noctambules, La Cantatrice chauve, 1950), le boulevard Raspail (théâtre de Babylone, En attendant Godot, 1953) ou la rue de la Huchette (reprise des Bonnes, 1954) de la place de l'Odéon (Rhinocéros, 1960 ; Oh ! les beaux jours, 1963 ; Les Paravents, 1966).

Quelques salles sont exemplaires des difficiles aventures théâtrales des années 1950 : ainsi du Théâtre de Poche, où, dans une production assez disparate, dominent, en 1951, la création par Marcel Cuvelier de La Leçon, la deuxième pièce de Ionesco, avec l'inoubliable Rosette Zucchelli, et, en 1952, la révélation, par Reybaz, de Vauthier et de son Capitaine Bada. Puis ce théâtre connaîtra des fortunes diverses avant de retrouver, vers les années 1960, un nouveau lustre, grâce à Dubillard et à Arlette Reinerg (Naïves Hirondelles, 1961).

Le théâtre de la Huchette, lui, aura un curieux destin. De 1952 à 1957, cette petite salle, dont Vitaly a abandonné la direction, reste un très vivant foyer de création grâce aux metteurs en scène que sa précarité ne rebute pas. En 1952, Nicolas Bataille et Marcel Cuvelier s'y associent une première fois[...]

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Écrit par

  • : journaliste et critique dramatique au journal Le Monde

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