THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre dans le monde arabe
Naissance du théâtre
La naissance d'un théâtre de type occidental eut lieu au xixe siècle, lorsque la culture arabe fut « agressée » (J. Berque) par la culture occidentale. Des Libanais et des Syriens chrétiens et bilingues, et par conséquent moins attachés aux valeurs anciennes, intègrent, dans les années 1840, le roman et le théâtre à la littérature arabe. Toutefois, ils craignent de trop innover, de peur de soulever la colère de la majorité musulmane qui pourrait voir dans leur entreprise de rénovation culturelle une atteinte à la personnalité nationale. Romanciers et auteurs dramatiques s'efforcent donc de renouer avec les genres traditionnels en reprenant les procédés et les thèmes de la maqāma (prose rimée, aventures pittoresques du truand beau parleur) et en puisant dans le monde fabuleux et irréel des Mille et Une Nuits et des gestes populaires. Cette audace calculée ne favorise pas toujours l'implantation de ces nouveaux genres dont elle ne donne finalement qu'une idée fausse ou incomplète. Cette tendance apparaît clairement dans l'œuvre de Marūn an-Naqqāsh. En 1847, ce maronite libanais écrit la première pièce arabe, Al-Bakhīl, en s'inspirant de L'Avare de Molière. En 1850, il adapte l'un des contes des Mille et Une Nuits, « Le Dormeur éveillé » (Abul Hasan al-Mughaffal). Dans ces deux comédies, il utilise la prose rimée et émaille le dialogue de poèmes et de couplets chantés, à l'instar de Karagöz.
En Égypte, l'avènement d'Ismā‘īl pacha (1863-1879) favorise la naissance d'un théâtre national. Désireux de faire du Caire le Paris de l'Orient, ce vice-roi ouvre les portes de son pays aux troupes italiennes et françaises, fait construire le théâtre de l'Opéra en 1869 et encourage les comédiens arabes. Désormais, le théâtre arabe se développera en Égypte.
Un juif égyptien, James Sanua (ou Yāqūb Sannū‘), écrit de 1870 à 1872 une dizaine de pièces qu'il joue sous le patronage du khédive. Mais, dès que Sanua s'avise de dénoncer certains abus sociaux, Ismā‘īl pacha lui interdit toute activité théâtrale. Bien que l'œuvre de Sanua s'inspire en grande partie de celle de Molière, elle révèle une originalité certaine. En effet, l'auteur y met à profit ses extraordinaires dons d'observateur et la vivacité de son esprit qui lui permettent de tracer une longue série de portraits (la nouvelle bourgeoisie et l'aristocratie vivant « à la franque », les spéculateurs en bourse, le médecin de formation occidentale aux prises avec les guérisseurs, le fumeur de haschisch).
Une autre tentative, aussi intéressante, est celle d' Osman Ǧalāl (1828-1896) qui réussit à intégrer Molière au cadre égyptien : il adapta cinq de ses comédies, dont Le Tartuffe (Shaykh Matlūf) qui poursuit encore une brillante carrière. Ǧalāl adopte le dialecte, arabise les noms des personnages et transpose les sujets dans la société musulmane de la fin du xixe siècle. Malheureusement, cette œuvre passa inaperçue et ne fut découverte qu'en 1912. Le succès favorisa en revanche le neveu de Marūn an-Naqqāsh qui, de 1875 à 1878, joua en Égypte des tragédies de Corneille, de Racine et de Casimir Delavigne. Il revient à Salīm an-Naqqāsh le mérite d'avoir été le premier à révéler la tragédie aux Arabes. Néanmoins, il réduisit ces tragédies à des drames en en compliquant l'intrigue et en multipliant les effets scéniques. Depuis, on confond souvent drame et tragédie, traduit souvent par le même terme (fāǧi‘a, māsāt).
L'occupation de l'Égypte en 1882 par l'Angleterre éveilla le sentiment national et favorisa la naissance d'un théâtre didactique et historique qui faisait vivre le glorieux passé arabe ou analysait les raisons du déclin du monde musulman (pièces de ‘Abd Allāh an-Nadīm, de Mustafa Kāmil...).[...]
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Écrit par
- Sayed Attia ABUL NAGA : docteur ès lettres (Sorbonne), agrégé de l'Université, interprète à l'O.N.U., Genève
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