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THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre dans le monde arabe

Une littérature dramatique

Alors que le théâtre populaire continue à avoir la faveur des masses, il est méprisé par les intellectuels qui lui reprochent son manque d'originalité. En effet, les « auteurs » pillent sans vergogne les dramaturges étrangers en les « arabisant » un tant soit peu. Point d'effort personnel, le talent consistant moins à s'exprimer hors des sentiers battus qu'à traiter, mieux que d'autres, des thèmes et des genres traditionnels. N'est-ce pas un retour à la méthode de l'intiḥāl (larcins littéraires) ?

En Égypte, le climat politique et culturel favorise pendant l'entre-deux-guerres l'essor d'une littérature dramatique originale. L'émancipation politique du pays après la révolution de 1919 contribue à la naissance d'un humanisme arabe fier de ses richesses intellectuelles et ouvert aux autres apports culturels désormais mieux compris. Sur le plan littéraire, les écrivains s'efforcent de composer des œuvres originales où s'incarne l'âme de la nation. C'est ainsi que le grand poète Aḥmad Shawqī (mort en 1932) écrit, sur le modèle de la tragédie française, des pièces qui évoquent les périodes sombres de l'histoire du monde arabe en général et de l'Égypte en particulier. Toutefois, ces tragédies sont, comme les œuvres égyptiennes contemporaines, embarrassées d'éléments lyriques.

C'est avec Tawfīq al-Ḥakīm que le théâtre arabe se libère totalement des genres traditionnels et trouve son expression la plus authentique. Vivant en France de 1925 à 1927, il découvre Pirandello que Dullin et les Pitoëff jouent admirablement à Paris. Cette révélation marque profondément la sensibilité d'al-Ḥakīm. Il abandonne alors les conventions du théâtre arabe en traitant notamment dans La Caverne des songes (Ahl al-Kahf), Schéhérazade (Shahrazād), Œdipe roi (al-Malik Ūdīb), Pygmalion (Pigmalyūn), Je veux tuer (Urīd an aqtul) et Le Metteur en scène (Al-mukhriǧ) des thèmes pirandelliens : fluidité de la personnalité humaine, relativité des apparences, opposition entre la vie changeante et la forme immobile, impossibilité de communiquer avec autrui. Al-Ḥakīm a beaucoup évolué par la suite. Après la Seconde Guerre mondiale, il a modifié sa technique. Aux poèmes dramatiques remarquables par la profondeur de leurs symboles philosophiques succèdent des ouvrages réalistes qui se distinguent par leur verve pittoresque, la puissance d'observation et le sentiment saisissant de la réalité : Théâtre social (Al-Masraḥ al-muǧtama‘), Théâtre multicolore (Al-Masraḥ al-munawwa‘). Après la révolution de 1952, il écrit des pièces engagées.

Cette œuvre multiforme a obtenu un succès international et exercé une influence profonde sur les dramaturges arabes. Une pléiade d'écrivains, suivant l'exemple d'al-Ḥakīm, a produit des œuvres originales où le drame s'intériorise, où l'action, toujours simple, puise ses mobiles dans les caractères et non dans les péripéties (comme les œuvres de l'Égyptien Mahmūd Taymūr, du Tunisien Muḥammad Mas‘adī dont Le Barrage (As-sadd) a été qualifié de pièce « ibsénienne » par Louis Massignon, des Libanais Adonis et Sa‘īd ‘Aql). Mais ce théâtre ne satisfait plus certains auteurs et metteurs en scène qui lui reprochent son « moule occidental » incompatible, selon eux, avec l'expression de la personnalité nationale. Il ne s'agit pas, affirment-ils, d'un retour à un nationalisme culturel, mais d'un désir sincère d'exprimer les besoins d'un désir sincère d'exprimer les besoins culturels d'un peuple redevenu lui-même. Il faudrait, selon Alfred Faraǧ et Yūsuf Idrīs, intégrer au théâtre arabe des éléments traditionnels ou langagiers afin de lui restituer son authenticité. Il est indispensable aussi de lui assurer un lieu théâtral adéquat. C'est[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres (Sorbonne), agrégé de l'Université, interprète à l'O.N.U., Genève

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